Marina Rebeka (Julia), Stanislas de Barbeyrac (Licinius), Tassis Christoyannis (Cinna), Aude Extrémo (La Grande Vestale), Nicolas Courjal (Le Souverain Pontife), David Witczak (Un Consul, Le Chef des Aruspices), Les Talens Lyriques, Chœur de la Radio Flamande, dir. Christophe Rousset.
Bru Zane 35 (2 CD). Notice et livret en français et en anglais. Distr. Outhere.
Depuis sa résurrection en 1954 à la Scala de Milan par Maria Callas, en version italienne et dans une édition quelque peu tronquée, La Vestale de Spontini attendait une réalisation qui lui restitue son intégrité et sa langue « originale ». Quelques tentatives liées à des productions scéniques sans lendemain avaient fait long feu, telle celle dirigée par Riccardo Muti en 1993 avec Karen Huffstodt. Quelques autres versions de studio (Kühn 1991, Parry 2002) n'avaient guère convaincu. Sans doute, fallait-il trouver deux éléments essentiels pour une réussite totale. D'abord, bien sûr, une interprète capable d'assumer la stature tragique du rôle-titre avec un style belcantiste irréprochable et une diction française sans faille. C'est le cas avec Marina Rebeka dont le moindre éloge qu'on puisse lui adresser, est de dire qu'elle se révèle l'égale d'une Callas en termes de style comme d'expressivité, avec une voix centrale aux aigus magnifiques et une noblesse d'accent de tous les instants. Pathétique à souhait, elle utilise un médium charnu et chaleureux pour donner toute leur puissance aux tourments de l'héroïne mais sait également alléger la voix pour des aigus lumineux dans les grands airs cantabile. L'autre élément majeur est la direction, et l'orchestre. Christophe Rousset, qui a déjà prouvé ses affinités avec le répertoire néo-classique et préromantique, donne ici une véritable leçon, dirigeant dans un mélange de fougue et de précision les complexes ensembles de Spontini avec un relief saisissant, bien aidé par la texture instrumentale légère et colorée des instruments d'époque. Depuis la splendide ouverture aux accents beethovéniens jusqu'au chœur final, la tension ne retombe jamais. Les grandes cantilènes bénéficient aussi d'une pulsation parfaite. À peine regrette-t-on parfois l'usage du cor naturel qui entache de quelques incertitudes la ligne musicale, notamment dans le premier air de Julia, « Toi que j'implore avec effroi ».
Si au-delà du rôle-titre, exceptionnel, la distribution reste un peu inégale, et peut-être un léger cran en-dessous, elle ne démérite jamais. Certes, la tessiture de Licinius paraît parfois encore un peu grave pour Stanislas de Barbeyrac – en son temps Muti l'avait confié à un baryton –, mais le métal du timbre, le style et la diction très surveillés sont appréciables. Dans le rôle de son confident, le baryton aigu de Tassis Christoyannis répond parfaitement à son ténor central. La Grande Vestale d'Aude Extrémo, voix large mais inégale, au phrasé un peu brut, est affaire de goût mais elle donne beaucoup d'autorité au personnage. Nicolas Courjal, excellente basse chantante, manque à notre goût de noirceur et de tranchant pour conférer toute la stature voulue au Grand Pontife. Il faut également mentionner la remarquable prestation du chœur de la radio flamande, parfaitement homogène et idiomatique. Dans cette version bouillonnante qui dépasse largement en réussite le concert qui l'avait précédée aux Théâtre des Champs-Élysées en juin dernier, on regrettera peut-être l'absence des ballets obligés, puisqu'il s'agit d'une tragédie lyrique.
On retiendra l'incarnation de l'héroïne par Marina Rebeka et l'extraordinaire sens de la continuité dramatique et l'intensité que lui insuffle la direction de Christophe Rousset. Le chef parvient même à faire oublier quelques faiblesses dans le dénouement, imputables au livret d'Étienne de Jouy et à son happy end artificiel plus qu'à la partition de Spontini qui fait preuve de beaucoup de ressources pour les faire accepter.
Alfred Caron