Un Wagner restitué à ses couleurs, sa plasticité et finalement son humanité, voilà comment on pourrait résumer le projet esthétique défendu par François-Xavier Roth et les Siècles lors de cette soirée élyséenne. Ses couleurs d’abord, avec des instruments d’époque – un attendu des apparitions « séculaires » sur scène – qui parent la musique d’atours contrastés, à l’opposé des lectures jouant la pâte sonore ; sa plasticité, parce qu’en remontant le chemin des traditions d’interprétation, François-Xavier Roth se place résolument du côté du drame romantique, héritier d’un théâtre spectaculaire composé de scènes incontournables : tempête, chœur pittoresque (ici les fileuses comme ailleurs les chasseurs), grand récit dans une forme narrative (ballade de Senta), épanchements et catastrophe… car le romantisme de Wagner liquide l’héritage de l’Aufklärung, une fin non heureuse, mais sacrificielle. Enfin, à son humanité, car Wagner, le dieu, redevient un compositeur, soit un homme qui agence des sons qu’il entend, ou qu’il a entendus auparavant. Ainsi, l’influence de Mendelssohn ne fait pas de doute (malgré les dénégations rances de l’auteur) à l’écoute du chœur des fileuses lorsqu’elles apprennent l’arrivée du navire de Daland. L’orchestre joue de la soie des cordes, du métal des cuivres, du son rond et mat des bois, tout cela respire les couleurs d’une eau-forte où douceur et acidité s’équilibrent. Corollaire inévitable, on a perdu la noirceur du mythe du maudit, mais – et c’est l’essentiel – pas le théâtre, tenu et mené crescendo par le chef d’orchestre.
 
Le plateau vocal brille par son homogénéité et son métier. Ingela Brimberg est une Senta hiératique au risque parfois du monolithe, aigu éclatant et présence magnétique, elle impose une vision résolument tragique du personnage. Le Hollandais de James Rutherford déploie un chant châtié, variant les couleurs et détaillant le phrasé d’une voix de velours, plus flatteuse dans le grave que dans le registre aigu. Le Daland de Karl-Heinz Lehner a du métier et de l’élégance dans le phrasé sans obérer le caractère profondément bourgeois du personnage. Maximilian Schmitt convainc dans le rôle d’Erik, son timbre lumineux et sa voix souple soulignent le rôle rédempteur qu’il pourrait jouer pour Senta, avant que celle-ci ne décide d’être elle-même la rédemption du Hollandais. Enfin, Dmitri Ivanchey (le pilote) et Dalia Schaechter (Mary) livrent aussi des prestations de bonne tenue. Une habile mise en espace donne vie au drame avec sobriété et justesse, remplissant idéalement les attentes d’un spectateur en mal de simplicité scénique.
 
On saluera enfin les imposants chœurs de l’Opéra de Cologne, précis, homogènes et vraiment dotés du génie et de la puissance du théâtre musical, que l’on sent rompus aux pratiques du théâtre de répertoire. C’est d’ailleurs en somme ce qui caractérise le mieux cette soirée : une belle représentation de répertoire. La mise en œuvre d’un beau métier, qui suscite un plaisir musical franc sans atteindre nécessairement les cimes de l’émotion. C’est déjà beaucoup. 

Jules Cavalié