Hugo Laporte (Sharpless), Matthew White (Pinkerton). © Vivien Gaumand

Après son très bel Eugène Onéguine (2019), Stephanie Havey revient à Montréal avec une Madame Butterfly conçue comme étant l'illustration du récit que fait Kate Pinkerton à son fils adoptif âgé d'une douzaine d'années. L'opéra permet donc au jeune garçon de comprendre ses origines et de suivre le cours des événements ayant conduit au suicide de sa mère japonaise. Le coffre doré de Cio-Cio-San, récupéré par Kate, devient ici le lien tangible avec ce passé oriental : on y trouve notamment le parchemin sur lequel Suzuki a relaté le quotidien de sa maîtresse et auquel elle travaille d'ailleurs pendant une partie du deuxième acte. À plusieurs reprises, des caractères chinois sont ainsi projetés sur les murs de la maison pour nous rappeler cette dimension mémorielle. Kate et son fils se tiennent essentiellement côté jardin, autour du coffre, mais traversent à l'occasion la scène de façon discrète sans interagir avec les autres personnages. Cette séparation entre les deux univers s'abolit cependant à la toute fin, lorsque l'adolescent, submergé par l'émotion, console dans ses bras l'enfant qu'il fut autrefois. Voilà la principale originalité de cette mise en scène somme toute très traditionnelle, qui prend place dans un décor unique constitué des habituels murs coulissants qui occupent l'ensemble du plateau, conférant du coup un aspect surdimensionné à la maisonnette de Cio-Cio-San. Plus ou moins habile à tirer profit de cet immense espace, Stephanie Havey aurait pu en outre mieux ménager l'entrée de Butterfly, du bonze ou de Yamadori, qui apparaissent (et chantent) invariablement derrière le mur central, avant que celui-ci ne soit ouvert.
 
La Butterfly de Joyce El-Khoury laisse une impression partagée en raison d'une émission très hétérogène. Si d'admirables demi-teintes et d'exquises nuances ravissent souvent l'oreille, le grave est en revanche excessivement poitriné et la voix se décolore dans les passages réclamant du volume sonore. L'appréhension est palpable avant les notes aiguës, qui ne se déploient pas librement, et l'instrument ne se marie pas idéalement avec la voix de Pinkerton ou de Suzuki. Très crédible en officier de marine portant beau, Matthew White fait d'abord entendre une voix que l'on pourrait juger légère pour le rôle et mal assurée dans le registre supérieur, mais le ténor américain se ressaisit dans un dernier acte particulièrement convaincant. Pour sa part, Hugo Laporte campe un Sharpless tout simplement idéal : d'une grande compassion, son consul possède à la fois un timbre onctueux et une ligne de chant exemplaire. Également très touchante dans son jeu, la Suzuki de Lauren Segal fait entendre une superbe voix de mezzo. Parmi les rôles secondaires, on retient Éric Thériault, Goro haut en couleur, et Martina Myskohlid, Kate Pinkerton d'une belle assurance. Dans la fosse, Pedro Halffter et l'Orchestre Métropolitain prennent un plaisir évident à mettre en relief les subtilités de l'écriture puccinienne, et ce, dès les premières mesures de l'œuvre. Peut-être un peu trop retenus dans le duo d'amour, ils excellent par la suite dans le prélude du troisième acte et dans une scène finale d'une formidable intensité dramatique.

Louis Bilodeau

Joyce El-Khoury (Cio-Cio-San), Hugo Laporte (Sharpless), Matthew White (Pinkerton). © Vivien Gaumand