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Boglárka Brindás (Giulia) et Kiup Lee (Dorvil). © Vincent Lappartient

Pour une série de représentations, l’Académie de l’Opéra national de Paris, relocalisée au théâtre de l’Athénée, met la jeunesse à l’œuvre pour une œuvre de jeunesse, La scala di seta commise par un Rossini d’à peine vingt ans et qui porte déjà en elle tout le génie comique magnifié par les opus à venir. Sens du rythme et de la pulsation, envolées virtuoses, ensembles à la mécanique ébouriffante, mais aussi tendresse et délicatesse, tout est en place, ne manque que l’expérience. L’intrigue emprunte son canevas à la plus pure tradition bouffe : deux jeunes gens mariés en secret doivent déjouer les plans du tuteur qui entend marier sa pupille à un autre. Une cousine récupère le prétendant et tout est bien qui finit bien, en moins d’une heure et demie.
 
Voilà un répertoire intelligible, perméable aux actualisations sans risquer de dénaturer le propos, orchestralement portatif (jusqu’à un certain point), et plus profond qu’un simple divertissement… À l’heure où le monde lyrique se contorsionne pour être toujours « plus … [remplir avec l’adjectif de son choix : ouvert, démocratique, inclusif, accessible etc.] », parfois au prix de travestissements stériles, ces ouvrages semblent taillés pour mettre tout le monde d’accord, sans avoir à réinventer le théâtre.
 
Une seule condition à remplir pour réussir : disposer d’une troupe engagée et compétente. Pour cette représentation, les talents varient et le niveau n’est pas exactement homogène d’un interprète à l’autre, mais la réussite de la production de l’Académie repose là-dessus : chacun est intégralement à son œuvre en conscience et maîtrise de ce qu’il fait. Boglárka Brindás (Giulia) en est un exemple éclatant, en plus de moyens sûrs (homogénéité de la voix dans toute son étendue, timbre charnu, longueur de souffle), la soprano se plie crânement au style, la vocalisation est réalisée avec élégance et le texte non seulement dit, mais encore adressé. Si la voix de Seray Pinar (Lucilla) pourra gagner encore en ampleur et en projection, la mezzo sait soigner la ligne et la couleur est déjà séduisante. Au Dorvil de Kiup Lee, il faudra assouplir une voix dont les aigus percutants sont projetés avec insolence. En second ténor, Thomas Ricart tire parti de toutes ses interventions pour faire preuve d’un sens du théâtre développé, et montrer une voix qui peut aller au-delà de ce que lui réserve le rôle de Dormont. On goûte avec plaisir le Germano d’Andres Cascante, au tempérament bouffe affirmé et qui s’exprime d’une voix ample, soyeuse et souple. Enfin, le Blansac d’Alejandro Baliñas Vieites, convainc sans peine dans le rôle de mâle alpha, surjouant avec bonheur le macho faussement repenti.
 
La mise en scène de Pascal Neyron situe l’intrigue dans une esthétique seventies où les costumes (bigarrés et ridicules) deviennent des éléments de scénographie qui alimentent les situations comiques de la soirée. L’ingénieux décor de la chambre de Giulia démultiplie les cachettes, les entrées et sorties improbables comme autant de surprises et coups de théâtre qui viennent cueillir le spectateur. Dans ce dispositif, les gags ne deviennent jamais systématiques, renouvelant sans cesse l’intérêt du spectacle, notamment grâce à une direction d’acteurs au cordeau qui permet à l’exubérance de ne jamais être lourdeur.
 
Enfin, l’orchestre Ostinato, augmenté des musiciens en résidence à l’Académie de l’Opéra et néanmoins réduit à un instrumentiste par pupitre, est placé sous la direction d’Elizabeth Askren. L’ouverture pâtit un peu de la réduction (décalages, retards dans les entrées, problèmes de justesse), mais bien vite les inquiétudes disparaissent. La cheffe tient l’ensemble et y insuffle l’énergie nécessaire pour enfiévrer les redoutables mécaniques chères au cygne de Pesaro. Il y manque seulement une once de souplesse rossinienne faite d’espièglerie, de tendresse et de sens du suspens théâtral.
 
On souhaite aux jeunes artistes (mais aussi à l’Opéra et au public) de nombreux spectacles comme celui-ci, véritable réussite musicale et théâtrale.

Jules Cavalié

Boglárka Brindás (Giulia) et Alejandro Baliñas Vieites (Blansac). © Vincent Lappartient