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Jean-Baptiste Dumora (Puy Pradal), Philippe Brocard (Gerville) et Irina De Baghy (Sola  Myrrhis). © Raynaud Delage

L’Athénée présente la production des Frivolités parisiennes de Coups de roulis, préparée et créée à Compiègne le 3 mars dernier, passée par Tourcoing le 5 et installée à Paris pour trop peu de temps du 10 au 19 mars. Un bonheur, pour le plaisir de tous, spectateurs et interprètes, salué par un triomphe mérité.
 
Il faut savoir confesser son ignorance. Bien sûr, André Messager, on sait le chef historique, qui créa Louise et Pelléas à l’Opéra–Comique, Le Crépuscule des dieux, L’Or du Rhin et Parsifal à l’Opéra, dont il fut aussi sept ans le directeur. Et Véronique, Fortunio, et même Les petites Michu, partitions délicieuses, on connaît assurément ; mais on n’a jamais approfondi ce répertoire, préférant des choses plus nécessaires croit-on, imbécile que l’on est ! L’opérette, vous savez… Et voilà qu’au milieu d’un disque aussi récent que succulent (Croisette, chez Erato), parmi tant de bonbons des années folles, s’installe dans la tête l’entêtant « Duo du roulis », extrait d’une œuvre dont on a oublié avoir écouté « Les hommes sont bien tous les mêmes » par Susan Graham, voici quelques 20 ans ! Pas d’intégrale commerciale au disque, tout au plus sur YouTube un de ces concerts de la RTF où le ton, années 60, un peu pincé, fait retrouver Lina Dachary, Claudine Collart, Aimé Doriat et la baguette de Marcel Cariven – à chérir.
 
Hasard heureux, les Frivolités parisiennes l’installent quelques mois plus tard à l’Athénée pour rendre enfin palpable l’inconnu. Et la découverte fut une de ces soirées où tout s’assemble pour une réussite mémorable. Premier impact fort, la fosse, la direction d’orchestre d’Alexandra Cravero, vivifiante, enlevée et immédiatement complice. L’Orchestre des Frivolités parisiennes s’amuse du pimpant de la partition, s’épanouit de ses délicatesses, de son sens inné de la mélodie, en voguant du vif-argent au charme ravageur, de l’élégance séductrice à la jeunesse d’esprit d’un Messager de 74 ans qui sait aussitôt trouver le ton –  et l’émotion –  quand l’amour s’en vient frapper à la porte. Un plaisir.
 
Côté visuel, Sol Espeche a opté pour une forme d’actualisation clin d’œil, dans l’esprit et les codes des séries audiovisuelles addictives d’aujourd’hui. C’est particulièrement réussi avec cet écran d’images sur lequel on projette le déroulé vidéo de la distribution en début d’acte et l’on résume l’action de l’épisode précédent. Cela ne s’arrête pas à cette très bonne idée, chaque acte sera réjouissant, sans s’embarrasser de trop de décors : quelques câbles tendus pour évoquer le pont du croiseur Le Montesquieu avec la lumière de la mer derrière, bien cadrée, des rideaux pour les salons chics d’Alexandrie, Oria Puppo a su marier l’économie à l’évidence.
 
Il suffit alors de remplir l’espace d’un jeu d’acteurs qui sonne juste. À l’opérette, on parle autant qu’on chante, et la troupe s’y emploie ici avec un naturel et une franchise un rien cabotine qui fait la saveur de l’instant où l’humour du texte d’Albert Willemetz touche juste en permanence, chose devenue trop rare. On y croit et chacun y va de sa personnalité, comme l’irrésistible Guillaume Beaudoin (Pinson), sachant user de son accent canadien pour faire crouler de rire la salle entière. Le chant n’est pas en reste, qui impose tout ce qu’il faut à ce genre si décrié : style, articulation, élégance, rondeur, sourire et ce qu’il faut de rentre-dedans pour liant.
 
En cela, la troupe des Frivolités est idéale, à commencer par le commandant Gerville, tenu haut par Philippe Brocard, sérieux même quand il porte le short avec une veste d’uniforme ou de gala, et chantant de son beau baryton nuancé l’un des plus beaux airs de la partition, « La quarantaine ». Son rival en amour, c’est l’aspirant Kermao, incarné par un Christophe Gay bellâtre obsédé par sa coupe de cheveux, que l’amour transformera et qui déploie un délicat ramage. Haut commissaire rigoriste, inquisiteur même, quand il s’agit de l’emploi de l’argent de la Marine, qu’il sera prêt à déverser par tombereau dès que sa mise en valeur personnelle le réclamera, le personnage de Puy Pradal est gentiment caricatural, très IVe république. La satyre, savoureusement datée, n’en est pas moins d’une actualité brûlante sur le monde politique actuel. Jean-Baptiste Dumora reprend ici le rôle de Raimu à la création et navigue avec aisance en eaux troubles entre contempteur politique et amoureux aveuglé. On s’en voudrait de ne pas saluer parmi la troupe à pompons rouges Mathieu Septier (Haubourdin), Célian D’Auvigny (Muriac), Maxime Le Gall (Bellory – et un Amiral de la Flotte parfaitement branlant) et Matthias Deau (Subervielle), tous excellents.   
 
Côté féminin, en sus d’un petit chœur parfaitement caractérisé en individualités scéniques et vocales, les palmes sont partagées entre la Béatrice de Clarisse Dalles, hautaine secrétaire et fille à papa, un peu perdue en milieu marin, où elle sème l’excitation parmi la gent masculine, et qui sera vite partagée entre deux d’entre eux, pour un choix cornélien (délicieux « Tous les deux me plaisent ») et Irina De Baghy (la ravageuse Sola Myrrhis, qui vient jeter le trouble de ses rondeurs volcaniques dans un rapport père-fille bientôt fragilisé.
 
Bien sûr, tout s’arrangera au mieux, la secrétaire de 20 ans préfèrera la jeunesse à la maturité, la comédienne exilée au Caire entrera au Français, le député sera nommé ministre et la Marine pourra repartir du bon pied (marin) comme il se doit.
 
Une partition délicieuse, une direction d’un entrain et d’une poésie communicative, une mise en scène drôle et débarrassée de tout poncif du genre, une équipe vocale rayonnante, la soirée est proprement magique et le plaisir total.

Démodée, l’opérette ? Assurément pas quand on nous l’offre ainsi emballée et emballante. Alors, reste au-delà du souvenir ébloui, un souhait : une reprise, un enregistrement, une vidéo, vite.

Pierre Flinois


Célian D'Auvigny (Muriac), Philippe Brocard (Gerville), Jean-Baptiste Dumora (Puy Pradal), Christophe Gay (Kermao), Maxime Le Gall (Bellory) et Guillaume Beaudoin (Pinson).
© Raynaud Delage