Victor Sicard (Le Gendarme), Sabine Devieilhe (Thérèse-Tirésias), Jean-Sébastien Bou (le mari de Thérèse). © Vincent Pontet
Achevant son exploration des opéras de Poulenc avec Les Mamelles de Tirésias associé au Rossignol de Stravinsky, Olivier Py propose de donner à voir le théâtre, envers et endroit. À l’univers pimpant et pailleté de la pièce de Poulenc répond l’obscurité austère et laborieuse des coulisses où le metteur en scène place Le Rossignol. L’oiseau devient une meneuse de revue emplumée, le pêcheur un journaliste en quête de scoop, et l’empereur un vieil artiste mourant dans les sous-sols du théâtre. Cet éloignement de l’univers du conte ne simplifie pas le propos dramatique : les personnages évoluant chacun dans leurs activités propres, la cohérence du conte s’y perd. L’intérêt – relatif – de ce dispositif se mesure lors du second volet de la soirée, puisque les entrées en scène, les ouvertures du rideau et tous les événements scéniques correspondent à ceux vus des coulisses, rappelant ainsi l’univers noir et maussade aperçu en première partie de soirée. Côté Mamelles on devient spectateur de la revue que propose le cabaret Zanzibar, référence au lieu où se déroule l’action, qui prend dès lors la forme d’une revue, entre burlesque et numéros cocasses, assumant un érotisme fêtard. Olivier Py débarrasse ainsi l’œuvre de la satire du féminisme telle qu’elle fut sans doute imaginée par Apollinaire, pour proposer un vivant plaidoyer pour une sexualité joyeuse. Cette fois-ci, la mise en scène fait mouche, d’abord par ses qualités spectaculaires : gags au cordeau, unité retrouvée d’une pièce qui fonctionne par épisode, belle direction d’acteurs qui mobilise des artistes s’amusant visiblement en scène... et aussi par la subtilité avec laquelle le propos est traité. La fête – moment d’abandon, de travestissement et d’inattendu – permet de mettre à distance le propos politique sans en perdre la teneur : Tirésias prend bien le pouvoir dans un élan féministe assumé et son mari procrée abondamment et avec bonheur en tant qu’homme seul. Ni ironie sceptique et ni moralisme intempestif, le propos est assumé sans sombrer sur l’un ou l’autre écueil.
Le plateau vocal est homogène dans l’excellence, dominé par le soprano versatile de Sabine Devieilhe – l’aigu sensuel du rossignol devient rieur et dévastateur avec Tirésias –, Cyrille Dubois passe lui aussi de l’élégiaque pêcheur aux gouailleur journaliste parisien et à un Lacouf canaille, Jean-Sébastien Bou, empereur vaporeux – déjà dans l’au-delà – fait un mari hagard puis résolu dans son entreprise nataliste. Citons encore le directeur de théâtre de Laurent Naouri, empreint d’une mélancolie qui fait percer en salle la morosité des coulisses.
En fosse, François-Xavier Roth soigne les couleurs et le raffinement de l’articulation au détriment (dans le Rossignol) du discours et de la conduite dramatique. Dans les premiers instants des Mamelles, il semble vouloir, lui aussi, faire entrer la noirceur de la première partie sur la scène du Zanzibar, si bien qu’on attend l’arrivée de Blanche de la Force plutôt que de Thérèse. Après l’introduction, le chef retrouve la mesure alerte et comique de cette œuvre sans renoncer aux détails.
Les Mamelles emportent ainsi l’adhésion par une plus grande cohérence des directions musicales et théâtrales avec le propos de la partition et du livret, là où le Rossignol reste comme une délicate et fragile apparition.
Jules Cavalié
Sabine Devieilhe (Le Rossignol) et Jean-Sébastien Bou (L'Empereur de Chine). © Vincent Pontet