Karen Gardeazabal/Danuta Stenka (Comtesse), Natalia Rubis (Bronia), Rafał Bartmiński (Kazimierz), Mariusz Godlewski (Podczaszyc), Jan Martinik/Andrzej Seweryn (Chorazy), Krystian Adam (Dzidzi), Nicola Proksch/Joanna Pach-Żbikowska (Mademoiselle Ewa). Chœur de l’Opéra et de la Philharmonie de Podlasie, Europa Galante, dir. Fabio Biondi (live, Varsovie, Grand Théâtre, 17-19 août 2020).
Institut Frédéric Chopin. 2 CD. Présentation et livret bilingues (pol., angl.). Distr. Socadisc.
Madame de Vauban règne sur la haute société varsovienne. La Comtesse espère la voir chez elle, ce qui ferait de sa maison une des plus en vue de la capitale. Elle s’est éprise d’un jeune militaire pauvre et sans façons, qui déchire la robe de soirée qu’elle doit porter au bal. Il n’en faut pas plus pour causer sa disgrâce, mais elle s’en repent et cherche à le reconquérir au retour de la guerre où il s’est couvert de gloire. Trop tard : il lui préfère la tendre Bronia, qui vit plus modestement sur les terres de son grand-père Chorazy. Elle retournera au vide de sa vie varsovienne.
Moniuszko oppose deux mondes, celui d’une capitale contaminée par les manières françaises, où il est de bon ton d’émailler ses propos de mots de la langue de Molière, et celui de la campagne, où l’on perpétue les traditions polonaises. D’un côté la Comtesse, le palais, la valse de salon, de l’autre Bronia, le manoir, la polonaise séculaire. Alors qu’on prépare à Varsovie des ballets antiquisants, où la Comtesse apparaît en Diane et le vieux Podczaszyc en Neptune, la campagne organise des chasses. Le Manoir hanté reviendra à cette différence, mais Moniuszko et son librettiste Wolski vont ici plus loin dans la critique de la perte de l’authenticité. Ne sourions donc pas de cette histoire de robe déchirée : en 1860, date de la création de l’œuvre, la Pologne, rayée de la carte depuis plus d’un demi-siècle, cultive ses valeurs ancestrales pour préserver son identité. De là le succès de Hrabina dans une Varsovie administrée par un gouverneur militaire russe.
Moniuszko oppose deux mondes, celui d’une capitale contaminée par les manières françaises, où il est de bon ton d’émailler ses propos de mots de la langue de Molière, et celui de la campagne, où l’on perpétue les traditions polonaises. D’un côté la Comtesse, le palais, la valse de salon, de l’autre Bronia, le manoir, la polonaise séculaire. Alors qu’on prépare à Varsovie des ballets antiquisants, où la Comtesse apparaît en Diane et le vieux Podczaszyc en Neptune, la campagne organise des chasses. Le Manoir hanté reviendra à cette différence, mais Moniuszko et son librettiste Wolski vont ici plus loin dans la critique de la perte de l’authenticité. Ne sourions donc pas de cette histoire de robe déchirée : en 1860, date de la création de l’œuvre, la Pologne, rayée de la carte depuis plus d’un demi-siècle, cultive ses valeurs ancestrales pour préserver son identité. De là le succès de Hrabina dans une Varsovie administrée par un gouverneur militaire russe.
Avec ses dialogues parlés, la partition ressemble à un opéra-comique français, genre que Moniuszko connaissait bien, comme le répertoire italien. On en retrouve ici des traces, avec notamment l’air de bravoure italien du deuxième acte ou le sextuor du troisième, dont la légèreté rappelle Rossini ou Auber. L’œuvre est un régal de gourmet, où se déploient le génie mélodique du compositeur, son habilité dans l’instrumentation et l'écriture des voix. Elle regorge de pépites, tels le ballet avec chœur « Neptune sur la Vistule » au deuxième acte, la polonaise du début du troisième, pour trois violoncelles, alto et contrebasse, un vrai chef-d’œuvre.
Fabio Biondi, qui s’est épris de Moniuszko, dirige régulièrement ses œuvres au festival « Chopin et son Europe ». Après la Halka italienne 2018, Le Manoir hanté 2019, voici donc la Hrabina 2020, toujours d’après l’édition critique. Comme il se doit, tout se veut « historiquement informé ». La baguette est colorée, plus que celle d’Antoni Wit dans le ballet (Naxos), l’orchestre a du bouquet. On déplore seulement quelques baisses de tension dans la conduite de l’histoire, notamment dans le final du deuxième acte, un certain manque d’élan dans les danses et d’humour dans les passages comiques. Mais le chœur se signale et la distribution séduit par son homogénéité.
Karen Gardeazabal, belle voix au fruité savoureux, aux registres bien soudés, montre du style et du brillant en Comtesse coquette. Natalia Rubis phrase joliment sa Bronia, dont elle a la simplicité, un rien trop mûre de timbre cependant pour la fraîcheur de la jeune fille – ne ferait-elle pas une Comtesse ? Bien qu’elle monte jusqu’au contre-sol dièse, Nicola Proksch, en revanche, au timbre un peu acide, n’incarne pas idéalement la virtuosité belcantiste de l’air italien. Kazimierz est Rafał Bartmiński, ténor de classe à la voix claire et à la ligne bien ciselée, dont l’émission se durcit néanmoins un peu dans les notes les plus aigues. Lui aussi a son antithèse, Dzidzi, soupirant francisé de la Comtesse, plutôt ténor de caractère : Krystian Adam lui donne une voix là où ce genre de rôle est trop souvent distribué à des chanteurs en fin de course, le rendant ainsi crédible, notamment dans sa très volubile ariette du troisième acte. Les clés de fa ne représentent pas moins l’opposition des deux mondes : à l’amusant Poczaszyc de l’excellent Mariusz Godlewski, porté sur la bouteille, répond le Chorazy solide et raisonnable de Jan Martinik, en manque de grave néanmoins pour sa polonaise du premier acte. On ne peut que recommander, même si la direction inspire quelques réserves, cette première intégrale de Hrabina de Moniuszko, dont les polonophones apprécieront les dialogues parlés, avec le subtil Andrzej Seweryn en Chorazy. Sans oublier pour autant les extraits gravés par Mieczysław Mierzejewski, malheureusement jamais réédités en CD, ni l’Ouverture par Jan Krenz.
Didier van Moere