Adam Kruszewski (Miecznik), Edyta Piasecka (Hanna), Elżbieta Wróblewska (Jadwiga), Ryszard Minkiewicz (Damazy), Tadeusz Szlenkier (Stefan), Rafał Siwek (Zbigniew), Anna Borucka (Czesnikowa), Zbigniew Macias (Maciej), Aleksander Teliga (Skoluba), Joanna Krasuska-Motulewicz (Marta), Damian Wilma (Grzez), Wanda Franek (Vieille Femme). Chœur et Orchestre de l’Opéra de Varsovie, dir. Andriy Yurkevych, mise en scène, David Pountney (Varsovie, Grand Théâtre, 2015-2016).
Institut Chopin de Varsovie. Présentation bilingue (pol., angl.). Distr. Socadisc.
Que faire aujourd’hui de cet opéra nostalgique d’un passé héroïque, où deux frères jurent de se vouer au célibat pour mieux servir leur patrie… mais finiront évidemment par se marier… avec des jeunes filles aussi patriotes qu’eux ? David Pountney transpose l’action dans l’entre-deux-guerres sans la déconnecter du destin tragique de la Pologne : le jubilatoire Mazur de la fin, tout en rouge et blanc, les couleurs nationales, est assombri par le bruit des avions qui, en 1939, détruiront le pays. Le Manoir [prétendument] hanté reste ici un opéra « national » même s’il prend parfois des airs de revue de music-hall où l’on danse le charleston, avec des clins d’œil divers. On voit ainsi la Bataille de la Vistule de Wojciech Kossak, qui commémore la victoire sur l’armée rouge en 1920, et, contrepoint français d’un autre temps, l’Amant couronnant sa maîtresse de Joseph Marie Vien ou Les Saisons de Boucher. Quant au manoir, il n’est plus qu’une maquette, moins réalité que réminiscence. Entre historicisme distancié et décapage moderniste, la production, souvent critiquée en Pologne, trouve un équilibre certain, avec une sobriété dans le comique, soutenue par une direction d’acteurs solide.
Musicalement, en revanche, si elle s’avère correcte, elle reste en deçà des enjeux du pétillant chef-d’œuvre de Moniuszko, faute d’abord d’une direction d’orchestre plus caractérisée. Andriy Yurkevich ne met pas en valeur les finesses de l’orchestration et se contente d’une théâtralité au premier degré. Les deux frères ne convainquent pas vraiment : Stefan poussif dans le passage et l’aigu de Tadeusz Szlenkier, ce qui ne rend pas anthologique le fameux air du carillon, Zbigniew à la ligne peu châtiée de Rafał Siwek. On a connu Skoluba au phrasé plus élégant que celui d’Aleksander Teliga, auquel échoit « Ten zegar stary » [Cette vieille horloge], autre air célèbre de la partition, comme la Polonaise du Porte-Glaive, un Adam Kruszewski probe mais sans panache. Les vétérans, en revanche, assurent bien, que ce soit le très drôle Damazy [Damis] de Ryszard Minkiewicz, jadis Berger du Roi Roger de Simon Rattle, ici symbole de la contamination par les excès du raffinement français, ou Zbigniew Macias, ordonnance des deux frères. Mais si Anna Borucka, marieuse aux airs de meneuse de revue, brûle les planches, elle montre plus d’abattage que de maîtrise de ses registres. Les deux sœurs séduisent davantage : Edyta Piasecka, sans offrir un modèle de bel canto dans son grand air à vocalises du quatrième acte, a du piquant et de la séduction en Hanna, comme le mezzo solide d’Elżbieta Wróblewska en Jadwiga. Faute de mieux, regardons ce Manoir hanté : alors qu’on a le choix pour les CD, c’est le seul disponible au format DVD.
Didier van Moere