John Osborn (Otello), Cecilia Bartoli (Desdemona), Peter Kálmán (Elmiro), Javier Camarena (Rodrigo), Egardo Rocha (Jago), Liliana Nikiteanu (Emilia), Nicola Pamio (le Doge), Ilker Arcayürek (le Gondolier), Chœur de l'Opéra de Zurich, Orchestre La Scintilla, dir. Muhai Tang ; mise en scène : Patrice Caurier et Moshe Leiser (Zurich, 2012).
DVD Decca 074 3863. Distr. Universal.

On a beaucoup loué, au moment de sa prise de rôle à Zurich en 2012, l'extraordinaire Desdemona de Cecilia Bartoli. De fait, son incarnation, basée sur une maîtrise technique et une musicalité époustouflantes, son engagement scénique de tous les instants auquel la captation donne un relief supplémentaire, en font sans conteste La protagoniste de cette production.

Sa performance fascinante, toutefois, ne suffirait pas à elle seule à porter cette étonnante production qui ne serait pas aussi convaincante sans le travail extrêmement approfondi de mise en scène et l'excellent trio de ténors qui l'entoure et donne aux rôles masculins la crédibilité d'authentiques personnages. A peine pourrait-on leur reprocher, au pire, une proximité un peu trop grande en termes de couleur vocale, si leurs personnalités ne leur permettaient d'éviter le sentiment d'interchangeabilité, même si l'on sent bien que chacun d'entre eux est capable éventuellement de s'emparer d'une autre place dans la distribution - comme vient de le prouver Egardo Rocha en s'appropriant pour les reprises parisiennes le rôle de Rodrigo. Si l'Otello de John Osborn n'a pas tout à fait la puissance dramatique que peut lui donner un chanteur de la dimension de Gregory Kunde, faute d'un matériau vocal plus impressionnant, sa maîtrise de la complexe tessiture, son intelligence scénique lui permettent tout de même d'imposer son personnage - il ne manque sans doute qu'un surcroît de sauvagerie pour la violence des IIe et IIIe actes. Edgardo Rocha en Iago est tout à la fois d'une justesse impressionnante dans les aspects théâtraux du rôle et d'une parfaite adéquation en termes vocaux. Mais la révélation vient surtout du Rodrigo de Javier Camarena. Aigu brillant et sans limite, médium onctueux, vocalisation hors pair, le ténor mexicain s'affirme comme la première alternative possible au contraltino d'un Juan Diego Flórez, et s'impose haut la main dans une couleur plus lyrique très séduisante.

Une fois acceptés les partis-pris « cinématographiques » de la mise en scène qui tire l'œuvre dans un registre quasi néo-réaliste - ce qui peut sembler a priori en totale contradiction avec la nature même de la musique de Rossini -, on s'étonne de voir à quel point la transposition dans les années 60 révèle les enjeux dramaturgiques d'un livret souvent réputé un peu vide et leur donne une totale crédibilité. Même le premier acte, intrinsèquement légèrement languissant, y trouve un intérêt évident, grâce à la multiplication des détails d'arrière-plan qui installent subtilement le contexte sociologique et l'idée du racisme au centre de la conception de Patrice Caurier et Moshe Leiser. Mais que dire des deux derniers actes, où chaque instant, chaque bribe de récitatif est imprégné d'une urgence dramatique qui donne l'impression de redécouvrir complètement l'œuvre - ce qui, nous concernant, relève tout de même du tour de force ? L'impression se trouve évidemment encore accrue par la qualité de la réalisation d'Olivier Simonnet et la proximité qu'elle donne avec le jeu des acteurs. Si l'on ajoute des comprimari de très grande qualité, un chœur superlatif - dont on regrettera que l'intervention du Ier acte ait été coupée pour des raisons de mise en scène - et surtout un orchestre au coloris chatoyant, porté par la direction pleine de surprises, tout à la fois dramatique et extrêmement musicale, de Muhai Tang, on comprendra que cette première version en DVD d'un des opéras sérias majeurs de Rossini s'impose comme une réussite de premier plan, à découvrir de toute urgence.

A.C.