Fraîchement reçue à sa création à Aix-en-Provence en juillet dernier, la production de Moïse et Pharaon de Tobias Kratzer tentait une nouvelle fois sa chance sur la scène de l’Opéra de Lyon, avec une distribution partiellement renouvelée. Si certains de ses nouveaux éléments constituent un incontestable progrès sur le plateau original, il faut bien avouer que la mise en scène continue de poser quelques problèmes et qu’elle peine souvent a faire exister l’œuvre. En évacuant la dimension « religieuse » du livret au profit d’une relecture politique qui fait des Hébreux un groupe de réfugiés (climatiques, comme on le comprendra finalement) opposés à une caste de dirigeants sans conscience, la mise en scène prive le livret d’un de ses ressorts essentiels. Au troisième acte, le ballet des Fêtes d’Isis à la chorégraphie abstraite est devenu un simple divertissement pour privilégiés dont l’intérêt autre qu’esthétique peine à convaincre. Vues sur de grands écrans vidéo apposés sur la façade reconstituée du Théâtre de l’Archevêché, les plaies d’Égypte, assimilées aux catastrophes écologiques contemporaines, ont sans doute un peu plus de pertinence. Mais la dimension surnaturelle associée aux prodiges de Moïse, tels le retour de la lumière au deuxième acte ou la fontaine où se met à couler du sang au troisième, font figure de gimmick. Que dire enfin de cette tentation du second degré lorsque, après le passage de la Mer Rouge et la noyade des Égyptiens, pris dans la montée des eaux, nous découvrons la grève sur laquelle embarquaient sur des canaux pneumatiques les Hébreux pour leur traversée périlleuse, devenue une plage de villégiature tranquille où une baigneuse trouve, effrayée, le bâton magique de Moïse qui déclenchait des transes chez ceux qui le touchent ? Ironie ou message à double sens ?
En Moïse dont la mise en scène fait une sorte d’illuminé épileptique tout droit sorti des Dix Commandements, on retrouve Michele Pertusi, grand spécialiste d’un rôle qu’il défend depuis un quart de siècle mais dont la voix peine à trouver son assise en début de spectacle et dont l’autorité et la noblesse ne suffisent pas tout à fait à compenser une certaine grisaille du timbre. Lui répond le solide Pharaon d’Alex Esposito dont la voix sombre convient idéalement au personnage et à qui on ne reprochera qu’une petite tendance un rien « naturaliste » et tout à fait hors style, à vociférer dans ses scènes de fureur. Depuis sa spectaculaire performance à Pesaro en 2021 dans le même rôle de Sinaïde, la voix de Vasilisa Berzhanskaya a évolué, et si sa présence dans les ensembles reste impressionnante, son grand air a perdu un peu de son délié et ses registres de leur égalité. Elle se réfugie souvent dans de prudents pianissimi, face à des écarts de registre périlleux, ce qui ne l'empêche pas d'être saluée par de chaleureux applaudissements « à scène ouverte » dans une matinée où ils sont rarissimes. Ekaterina Bakanova maîtrise à la perfection la vocalise et offre de belles variations à Anaï mais sa voix au timbre argentin manque un peu d'ampleur, ce qui réduit l'impact de son grand air de l'acte IV où son aigu se resserre dangereusement. La voix claire de Ruzil Gatin et son style sans défaut, malgré des aigus un peu ouverts, donnent un beau relief au personnage pusillanime d'Aménophis et à ses contradictions. À côté de seconds rôles efficaces, la Marie parfaitement idiomatique de Géraldine Chauvet et l'excellent Eliézer de Mert Sügü, on distinguera particulièrement la basse profonde d'Edwin Crossley-Mercer, aussi imposant en Voix mystérieuse qu'en Grand Prêtre d'Isis. Le chœur de l'Opéra de Lyon est un des éléments majeurs de la production, d'une belle homogénéité et parfaitement compréhensible, ce qui n'est pas toujours le cas de solistes au français inégalement maîtrisé. La direction nerveuse et très engagée de Daniele Rustioni à la tête d'un orchestre aux vents exemplaires apporte l'élément épique et la hauteur d'inspiration qui manque un peu à cette vision cohérente et efficace mais un peu triviale.
Alfred Caron
À lire : notre compte rendu de Moïse et Pharaon au Festival d'Aix-en-Provence
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© Blandine Soulage