© Bertrand Stofleth
Décidément les metteurs en scène n’aiment pas l’anecdote. À l’instar de Barbara Horáková Joly qui a supprimé à Anvers tous les récitatifs d’Ernani, Daniel Fish a évacué de Candide les passages théâtraux, balayant ainsi toute forme de récit et de satire, voire le simple comique dont il ne reste que quelques traces dans certains airs, comme ceux de la Vieille Dame. En guise de liaison entre les numéros, il a ajouté une série de sentences, dites par un comédien, donnant un caractère presque Brechtien à ce qui, au final, finit par ressembler à une sorte d’oratorio chorégraphique. Tout le mouvement scénique a été délégué à un ensemble de danseurs dans un registre si minimal que l’on peut à peine parler de danse. Dès l’ouverture, le ton est donné. Sur le plateau nu, à l’exception d’une longue rangée de chaises pliantes en fond de scène et d’une grande sphère miroitante en plastique, le chœur puis les danseurs et enfin les solistes viennent se placer un à un dans un mouvement ininterrompu. Curieusement, ce qui agace d’abord dans ce minimalisme affiché jusque dans des costumes de ville on ne peut plus ordinaires, finit par devenir l’atout majeur d’une expérience qui donne du coup une extraordinaire présence à la musique, aux textes des airs et à leur pouvoir émotionnel. C’est le cas avec la plupart des airs de Candide et singulièrement le dernier et, bien sûr, avec le chœur final qui dans cette version devient, malgré sa tonalité pessimiste et fataliste, une sorte d’hymne à la vie. Selon le souhait du metteur en scène, le but est de chercher à « orienter l’histoire dans une voie plus ouverte, plus essentielle » et de voir « ce qu'il se passe lorsque personnages et récit disparaissent et que les interprètes, leurs voix, leurs corps, leur présence interagissent avec la glorieuse musique de Bernstein ». Incontestablement, le but est atteint.
Bien sûr, le public non averti, à l’entracte, paraît un peu déconcerté mais dans ce dépouillement, la musique de Bernstein se révèle avec une telle intensité, dans toute sa richesse et sa modernité, singulièrement dans les interludes et les passages choraux, qu'elle suffit presque à compenser la disparition du versant théâtral et que le spectacle recueille au final un authentique succès. Il faut en créditer la direction remarquable de Wayne Marshall à la tête d’un orchestre des grands jours et d’un chœur superlatif, associé à une distribution très homogène, dont on retient le Candide touchant de Paul Appleby, la Cunégonde aux aigus stratosphériques et très expressive de Sharleen Joynt, et la chatoyante Vieille Dame de Tichina Vaughn. À part Maximilien (Sean Michael Plumb) et Pangloss (Derek Welton), tous deux excellemment interprétés, les rôles secondaires sont si peu identifiés qu’il est difficile de distribuer à qui de droit les personnages multiples qu'ils incarnent au deuxième acte. Parmi les solistes du Lyon Opéra Studio, le baryton Pawel Trojak crève littéralement l'écran dans le rôle de Martin.
Si cette production paraît certes bien loin de la « comic operetta » d'origine, par le jeu d'une mise en scène discrète mais subtile dans ses détails, elle réussit à faire résonner l'œuvre de Bernstein d'une façon très contemporaine sans jamais en forcer le sens ni le message.
Alfred Caron
À lire : notre édition de Candide/L'Avant-Scène Opéra n°234