Karina Gauvin, Sophie Naubert, Anna-Sophie Neher, Magali Simard-Galdès (sopranos), Julie Boulianne, Michèle Losier (mezzo-sopranos), Florence Bourget, Marie-Nicole Lemieux (contraltos), Frédéric Antoun, Antoine Bélanger, Antonio Figueroa, Emmanuel Hasler, Joé Lampron-Dandonneau, Éric Laporte (ténors), Marc Boucher, Jean-François Lapointe, Hugo Laporte (barytons), Jean Marchand, Marie-Eve Pelletier (récitants), Antoine Bareil (violon), Stéphane Tétreault (violoncelle), David Jacques (guitare), Valérie Milot (harpe), Olivier Godin (piano, harmonium, clavecin).
ATMA Classique, 13 CD. Présentation en français et en anglais. Distr. UVM Distribution.
Beaucoup d’eau a coulé sur les berges du Saint-Laurent depuis l’ère du vinyle qui laissa paraître à la dérobée une sélection de mélodies de Massenet par le baryton canadien Bruno Laplante. C’était en 1976 et l’accueil fut plutôt frais. De même pour Richard Bonynge qui avait entraîné Huguette Tourangeau dans la même aventure… Nous n’en sommes plus là et le vent souffle à nouveau du Québec. La question est seulement déplacée : 333 mélodies dont 31 (parfois inédites) n’avaient jamais été enregistrées, est-ce vraiment servir la cause d’un pan de la production de Massenet qui, selon ses plus fervents admirateurs, l’a rarement aussi inspiré que le théâtre ? Massenet, qui excelle à faire s’exprimer des personnages, bien caractérisés, réussirait seulement à doter d’une fugace légitimité des poèmes retournant l’amour sous toutes les coutures. Ce qui manque, c’est de cerner l’identité du locuteur, surtout quand la personnalité du chanteur s’exhibe au premier plan et standardise l’expression. Rien de tel ici, et c’est la pierre angulaire de la réussite globale de cette somme : les interprètes ont choisi ce qu’ils sentaient intimement. Leurs voix alternent au fil de chacun des treize disques conçus musicalement (dans le respect des tessitures et des tonalités connues ou déduites) et thématiquement, par Johanne Goyette, comme un concert d’une heure et quart.
On se bornera à citer Karina Gauvin, Marie-Nicole Lemieux, Antonio Figueroa et Jean-François Lapointe avec quelque injustice car leurs partenaires ne pâlissent guère. On est d’emblée frappé par la qualité de la diction des chanteurs – on comprend tout – et la fraîche éloquence du piano Érard de 1854 qui, sous les doigts d’Olivier Godin, maître d’œuvre de tout le coffret (secondé par une solide équipe) s’affirme et s’efface avec le même bonheur. Ses tempos sont toujours justes, tant pour le caractère que pour l’aisance vocale. À noter que ces partitions, destinées aux salons, exigent souvent, de part et d’autre, des qualités techniques quasi-professionnelles. Le titre Intégrale des mélodies pour voix et piano doit être nuancé par la présence de duos, trios et quatuors vocaux, de mélodies accompagnées par divers instruments et de pages empruntées à bon escient, à La Grand-Tante, David Rizzio, Don César de Bazan, Marie-Magdeleine… S’ajoute, enfin, la surprise de retrouver, d’un disque à l’autre, des versions en duo ou dans une autre langue.
Tout cela est rigoureusement éclairé par les notes d’un livret coordonné par Jacques Hétu qui a assuré la validité musicologique de cette entreprise pharaonique. Tout de même, d’Écoute-moi, Madeleine (inédit, 1863) à l’ultime Jamais plus ! (1912), s’il est des titres consacrés, voire rebattus, ne pourrait-on citer des défaillances flagrantes ? On croit parfois en tenir une – trop simple, attendue, vulgaire – certitude souvent balayée à la réécoute.
Gérard Condé