Trois mois après la production de l’Opéra-Comique, retour à Delibes et Lakmé, mais cette fois-ci en version de concert au Théâtre des Champs-Élysées. Outre l’indispensable (et unique ?) titulaire du rôle-titre, la distribution est intégralement différente et ici Laurent Campellone est à la tête de l’orchestre philharmonique de Monte-Carlo. Fin connaisseur du répertoire français du XIXe siècle, homme de théâtre attentif aux voix, coloriste soigneux, Campellone propose une direction de haute volée, les ensembles virevoltent grâce à une très bonne tenue du temps musical, et tout en déployant une palette de couleurs délicates – des pastels là où Raphaël Pichon donnait des couleurs encrées – insuffle l’énergie du drame. On notera particulièrement le soin qu’il prend à moduler les dynamiques pour que jamais les chanteurs n’aient à forcer la voix.
Du côté de celles-ci, l’oreille est aussi à la fête : Lionel Lhote a la voix exacte de Nilakantha, dont il fait ressortir l’autorité quasi royale, tempérant le fanatisme du personnage. Ligne châtiée, couleurs du velours au métal, c’est une véritable leçon de style. Le Gérald de Cyrille Dubois est également idéal : le personnage tantôt poète grâcieux (« Fantaisie au divin mensonge »), tantôt vaillant dans son élan amoureux (duo final), trouve ici un interprète au phrasé élégant, à la voix rayonnante et surtout prompt à cette versatilité de caractère. On saluera aussi les belles prestations de Pierre Doyen en Frederick, baryton à la voix fraternelle, la Mallika au timbre pulpeux de Fleur Barron, et les Misses Ellen et Rose bien assorties – voix fruitées et sonores – de Erminie Blondel et Charlotte Bonnet, la convaincante Svetlana Lifar en Mistress Benson, ou encore le touchant Hadji de Matthieu Justine.
Si tresser des lauriers à Sabine Devieilhe est une activité à laquelle nous ne rechignons jamais, nous avons conscience que la répétition peut avoir un effet lassant pour le lecteur. Ainsi, nous pouvons commenter les aigus filés chargés d’émotion, les demi-teintes bouleversantes, aussi bien que la conviction impériale qu’elle oppose à Gérald qui s’apprête à se défiler, ou encore la subtilité de la colère ambiguë qui l’anime lorsqu’elle réalise au premier acte que l’anglais a profané sa demeure… nous ne retiendrons pourtant que deux choses : le silence qui précéda l’air des clochettes et l’évolution de personnage. Obtenir un silence parfait de plusieurs dizaines de secondes avant de commencer la légende de la fille des Parias, de la part d’un public prompt à toussoter et commenter, relève du tour de force. L’engagement vocal, scénique et dramatique total de la chanteuse capte le public d’une aura évidente : dans le silence qui s’écoule, elle donne à entendre la tragédie intérieure de Lakmé. L’étoffe de l’interprète s’enrichit aussi de celle qu’elle tisse pour son personnage au cours de la soirée. Trame lumineuse au premier acte, Lakmé gagne en poids et la joie initiale se drape de souffrances, rappelant le mot de Blanchot que « Là où la légèreté est, la gravité ne manque pas ».
Il s’agit pourtant d’une aura singulière, en effet Sabine Devieilhe n’impose pas un magnétisme tapageur, au contraire, c’est par la sobriété, la densité d’une intention concise et précise, l’art de chanter réduit à son essence, sans artifice et d’une incroyable force expressive, que l’artiste nous invite à l’écoute. Et dans chaque son, elle semble nous confier un secret sur le monde.
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Vue de l’esprit ? Fantasmes bourgeois balancés en phrases clinquantes ? Ou tout simplement auteur en mal de style ? Quoi qu’il en soit, pardonne-lui lecteur, car dans son péché il fut sincère.
Jules Cavalié
À lire : notre édition de Lakmé/L'Avant-Scène Opéra n°183