Michael Chioldi (Henry VIII), Ellie Dehn (Catherine d’Aragon), Hilary Ginther (Anne Boleyn), Yeghishe Manucharyan (Don Gomez de Feria), David Kravitz (Duc de Norfolk), Kevin Deas (Cardinal Campeggio), Matthew DiBattista (Comte de Surrey), David Cushing (Archevêque de Canterbury), Erin Merceruio Nelson (Lady Clarence). Odyssey Opera Orchestra and Chorus, dir. Gil Rose (live, Boston, Jordan Hall, 21 septembre 2019).
Odyssey Opera. 4 CD. Présentation en anglais. Distr. BMOP/sound.
Il fut un temps, très long, où un opéra connaissait de multiples versions. Avant la création, on coupait, on ajoutait, selon les nécessités du moment et les vœux des chanteurs. Il n’était pas rare, non plus, que l’on coupât ou que l’on rajoutât après. À propos de Henry VIII, premier opéra de Saint-Saëns créé à l’Opéra de Paris, le 5 mars 1883, Johannès Weber écrivait ainsi huit mois plus tard, le 6 novembre, dans Le Temps : « À la première représentation, […] le pas de Highlanders était supprimé dans le trop long ballet. À la quatrième ou à la cinquième représentation, on a supprimé le premier tableau du troisième acte, d’autant plus qu’il fallait absolument abréger la durée du spectacle. » C’est ce qui fait tout l’intérêt de ce Henry VIII donné en concert par l’ensemble Odyssey et son fondateur Gil Rose, dont l’attachement à la (re)découverte d’opéras oubliés doit être inlassablement salué. Par rapport au live de Compiègne, on gagne une quarantaine de minutes : c’est considérable. Outre les coupures signalées par le musicographe, on remarquera que certains numéros sont plus étendus.
L’interprétation, elle, pourrait bien faire fuir les mélomanes francophones. Pas seulement à cause de l’exotisme de l’accent : il s’agit du respect de la prosodie, qui détermine aussi la vérité des personnages. Le Don Gomez de Yeghishe Manucharyan, fort mal chantant de surcroît, est quasiment impossible à écouter. À l’opposé, l’Anne Boleyn de Hilary Ginther est linguistiquement la plus orthodoxe et l’on regrette d’autant plus d’entendre des registres assez peu homogènes. Michael Chioldi ne sait pas comment phraser la partie du roi et l’on a du mal à croire que « Ah ma bien-aimée », vient d’un opéra français. Un peu neutre mais sensible, la reine d’Ellie Dehn passe mieux. Gil Rose dirige ses belles troupes avec pertinence et conviction, sans grande théâtralité cependant – le grand final du troisième acte en pâtit.
Il n’empêche : si pour le style français, la version de Compiègne s’impose toujours, pour l’intégralité de la partition, il faut connaître ce Henry VIII américain, en attendant qu’une maison de disques – on peut toujours rêver – en confie un nouveau à une école française en plein essor. Ce concert nous confirme en tout cas la puissance du chef-d’œuvre de Saint-Saëns, qui perpétuait magnifiquement la tradition du grand opéra, avec ses grands ensembles et son souci du pittoresque – il avait étudié, pour la couleur locale, des virginalistes anglais.
Didier van Moere