Mathias Vidal (Don Quichotte), Jean-Gabriel Saint-Martin (Sancho Panza), Chantal Santon-Jeffery (Altisidore), Nicolas Brooysmans (Montesinos, Merlin), Camille Poul (la Paysanne), Le Concert spirituel, dir. Hervé Niquet.
Château de Versailles Spectacles CVS075. 2020. Notice en français. Distr. Outhere.

Troussé par Charles-Simon Favart, le livret de ce ballet comique en trois actes regarde autant du côté de la Foire que de celui des intermèdes princiers – il fut d’ailleurs créé en 1743 comme première partie (d’une reprise) des Amours de Ragonde, écrit pour la duchesse du Maine près de trente ans auparavant.

Proposant, avant Pirandello, une mise en abîme du genre théâtral, Favart projette au cœur d’un décor de pacotille et d’acteurs d’occasion (le duc tenant les rôles de Merlin et de Montésinos) un Don Quichotte qui, sans s’en rendre compte, « joue » son propre rôle. Croyant dur comme fer tout ce qu’on lui raconte ou décrit, il affronte monstre, géants, démons ou une reine du Japon vindicative, et se persuade que Dulcinée a été changée en paysanne, tandis que lui-même est devenu un ours et Sancho un singe. Les péripéties se succèdent à toute vitesse, au gré de farces improvisées qui conservent un fond d’amertume.

Ce fond était relativement absent de la très joyeuse première version enregistrée par Hervé Niquet, il y a… vingt-six ans (Naxos, 1996). La prise de son de la nouvelle interprétation, trop réverbérée, accentue encore le tournant pris par la direction, plus retenue dans ses tempi, plus lyrique, plus épanouie aujourd’hui, mais aussi moins pétillante et naïve qu’autrefois (ainsi que le révèle la confrontation, par exemple, des deux lectures de la chaconne). Le jeu instrumental a gagné en substance et perdu son aspect anguleux, au détriment d’un caractère primesautier qui convenait bien à la farce. Notons que les effectifs sont restés exactement les mêmes – ainsi que la plupart des bruitages – et que seule la guitare a disparu de l’orchestre.

A-t-on davantage gagné du côté de la distribution ? Le chœur, désormais plus homogène et équilibré, s’est à l’évidence bonifié, tout comme la Paysanne. On peut aussi juger que Vidal possède l’héroïsme qui manquait à Van Dyck, tandis que le Sancho plus sombre de Versailles égale son excellent prédécesseur. Mais on préférait le Merlin de Gay à celui de Brooysmans, qui grommelle par trop, et le rôle épineux d’Altisidore reste toujours mal attribué – car si Santon-Jeffery se montre moins pincée que Hall, son soutien déficient continue à engendrer un chant lâche, fluctuant, parfois criard (la redoutable ariette finale !)

Niquet reste le meilleur apôtre possible de ce genre de partitions, rieuses mais complexes (les parodies de Rameau affleurent ici et là), mais on n’affirmera pas qu’il les sert mieux aujourd’hui qu’il y a un quart de siècle.
 

Olivier Rouvière