Olivier Déjean (Don Pasquale). © Louise Leblanc
Inspiré par le féminisme du personnage de Norina – qui avait grandement offusqué la critique de 1843 en raison du soufflet qu'elle inflige au troisième acte à son pseudo mari –, le metteur en scène Jean-Sébastien Ouellette a déplacé l'intrigue de Don Pasquale dans le Québec de la Révolution tranquille, plus précisément en 1967. Cette année-là, Montréal accueillait l'Exposition universelle, symbole éloquent d'une société dont les profondes mutations socio-culturelles s'exprimaient notamment par une ouverture nouvelle sur le monde. Située dans une banlieue impersonnelle comme on en retrouve tant en Amérique du Nord, l'action commence devant la maison de Don Pasquale, où le septuagénaire, victime d'un malaise alors qu'il s'apprête à tondre sa pelouse, est transporté d'urgence à l'hôpital. C'est là qu'il reçoit ensuite son congé du docteur Malatesta, qui favorise ses projets matrimoniaux à titre de thérapie... Norina chante son air d'entrée dans une salle d'attente, puis est mise au parfum du complot contre le vieux barbon dans le cabinet du médecin. Les personnages se retrouveront également au restaurant et sur la route à bord d'une Mustang, avant de rentrer au petit bungalow de Don Pasquale. Originale, cohérente et fort réjouissante, cette transposition fonctionne à merveille. Costumes, accessoires, meubles et automobile sont d'époque, alors que les projections nous plongent dans un univers coloré et ludique proche du dessin animé. Particulièrement habile dans le registre de la comédie, Jean-Sébastien Ouellette n'en néglige pas pour autant les quelques pages de pure émotion, comme l'air très touchant d'Ernesto (« Cercherò lontana terra »), où les choristes munis de parapluies effectuent une pantomime toute simple mais s'intégrant à la perfection dans le discours musical du jeune homme éploré.
Bougeant avec beaucoup de naturel, chanteurs et choristes se glissent avec bonheur dans cette vision joyeusement décalée. En Norina, Anne-Catherine Gillet brûle les planches grâce à une énergie débordante et un abattage scénique exceptionnel. Pétulante dans sa mini-jupe et ses longues bottes blanches, elle fait irrésistiblement penser en Sofronia à une Jackie Kennedy introvertie, puis devient une mégère hilarante après la signature du contrat de mariage. En superbe forme vocale, elle se joue des difficultés de l'écriture donizettienne sans jamais forcer son instrument. Ernesto trouve en Patrick Kabongo un délicieux ténor di grazia au style châtié et sachant nuancer son chant avec un goût très sûr, en particulier dans la sérénade. Son intelligence musicale lui permet en outre de tirer le meilleur parti d'une voix un peu limitée dans les passages les plus exposés. Après son Belcore de l'an dernier, Hugo Laporte nous prouve une nouvelle fois ses affinités avec un répertoire qui lui sied à merveille. Une fois passé un « Bella siccome un angelo » légèrement tendu, il nous régale de son timbre velouté aux riches harmoniques tout en incarnant un Malatesta aussi roué que sympathique. Impayable dans sa dégaine de vieux célibataire misogyne, Olivier Déjean est un Don Pasquale longiligne, à l'opposé du créateur Luigi Lablache. Dans ce contexte, il est cocasse d'entendre Norina se gausser de son embonpoint... Cela dit, la basse possède une voix homogène et bien timbrée, mais d'un volume insuffisant, problème en partie accru par la direction de Laurent Campellone. Si ce dernier emporte l'Orchestre symphonique de Québec dans une lecture virevoltante de la partition, son enthousiasme l'amène trop souvent à couvrir les voix. C'est d'autant plus dommage qu'il sait par ailleurs se faire caressant à souhait, comme dans le duo « Tornami a dir che m'ami ». Quoi qu'il en soit de ces quelques réserves, ce Don Pasquale laissera dans les mémoires le souvenir d'une production jubilatoire.
Louis Bilodeau
Anne-Catherine Gillet (Norina), Hugo Laporte (Malatesta) et Olivier Déjean (Don Pasquale). © Louise Leblanc