Annabella-Vesela Ellis (Constance Fenimore Woolson) dans The Master. © Pádraig Grant
Outre les productions présentées à l’O’Reilly Theatre, le festival de Wexford propose de nombreuses manifestations complémentaires à cette offre principale : des récitals, une production de l’académie du festival « Opera Factory », des pocket opera accompagnés au piano et présentés dans des lieux de taille modeste, une soirée de gala avec guest star – cette année Daniela Barcellona – une soirée pour les jeunes chanteurs au bénéfice exclusif du festival, un concert symphonique, et une série de pop-up events gratuits se déroulant dans les commerces de la ville. Les buts sont multiples : assurer une variété d’événements pour épaissir la programmation, lever des fonds pour le festival, s’assurer un rayonnement international, impliquer la population locale dans le festival et donner la possibilité aux jeunes artistes engagés pour des seconds rôles dans les principales productions, d’accumuler des expériences professionnelles diverses. Se dessinent ainsi les tourments d’une entreprise au XXIe siècle qui ne bénéficie pas de larges appuis financiers.
En effet, les productions lyriques sont coûteuses, le public est vieillissant et l’opéra a perdu son statut incontesté de spectacle favori des élites, celles-ci se distinguant par un omnivorisme musical qui assume de ne considérer l’opéra que comme une forme spectaculaire parmi d’autres. En outre, la pratique populaire de l’opéra – vivace au début du XXe siècle et encore réelle il y a une quarantaine d’années – a fondu, les causes en sont multiples et il serait bien téméraire de notre part de prétendre les analyser toutes (quelques pistes néanmoins : l’éloignement des classes populaires des centres urbains où se trouvent les théâtres, les places bon marché vendues très en avance et réservées par les habitués, la concurrence de nouvelles formes de divertissement souvent gratuites en apparence, la fragmentation culturelle de la société résultant de la confusion entre émancipation et identitarisme entretenue par les marchands du temple en tous genres…).
Ainsi, pour trouver l’équilibre qui permet au festival de continuer d’exister, il faut intéresser un public fidèle tout en attirant de nouveaux spectateurs, engager des artistes reconnus (plus coûteux) et faire une place aux jeunes artistes, et donc diversifier les manifestations, chacune s’adressant à un public différent dans l’espoir de créer une fluidité entre les différents formats, notamment une migration du public des événements gratuits vers les spectacles payants. Autrement dit, sans programmation complémentaire, pas d’opéra avec mise en scène et orchestre. Et la justification n’est pas uniquement financière : engager de jeunes artistes peu onéreux pour des seconds rôles ne relèverait pas d’un projet artistique à long terme. La fluidité est donc de mise du côté des artistes aussi, c’est ainsi qu’on retrouve lors des pocket operas des chanteurs qui se produisent dans le chœur, et lors des récitals, des interprètes de seconds rôles. Cette organisation ouvre des perspectives car l’absence d’assignation à une fonction précise montre qu’il y a des chemins pour passer de l’une à l’autre, et politiquement, le message est intéressant : chacun peut intervenir à plus d’un titre dans l’œuvre collective et les hiérarchies ne sont fondées que sur l’usage des capacités des uns et des autres selon les contextes, et non pas sur une quelconque valeur absolue.
En effet, les productions lyriques sont coûteuses, le public est vieillissant et l’opéra a perdu son statut incontesté de spectacle favori des élites, celles-ci se distinguant par un omnivorisme musical qui assume de ne considérer l’opéra que comme une forme spectaculaire parmi d’autres. En outre, la pratique populaire de l’opéra – vivace au début du XXe siècle et encore réelle il y a une quarantaine d’années – a fondu, les causes en sont multiples et il serait bien téméraire de notre part de prétendre les analyser toutes (quelques pistes néanmoins : l’éloignement des classes populaires des centres urbains où se trouvent les théâtres, les places bon marché vendues très en avance et réservées par les habitués, la concurrence de nouvelles formes de divertissement souvent gratuites en apparence, la fragmentation culturelle de la société résultant de la confusion entre émancipation et identitarisme entretenue par les marchands du temple en tous genres…).
Ainsi, pour trouver l’équilibre qui permet au festival de continuer d’exister, il faut intéresser un public fidèle tout en attirant de nouveaux spectateurs, engager des artistes reconnus (plus coûteux) et faire une place aux jeunes artistes, et donc diversifier les manifestations, chacune s’adressant à un public différent dans l’espoir de créer une fluidité entre les différents formats, notamment une migration du public des événements gratuits vers les spectacles payants. Autrement dit, sans programmation complémentaire, pas d’opéra avec mise en scène et orchestre. Et la justification n’est pas uniquement financière : engager de jeunes artistes peu onéreux pour des seconds rôles ne relèverait pas d’un projet artistique à long terme. La fluidité est donc de mise du côté des artistes aussi, c’est ainsi qu’on retrouve lors des pocket operas des chanteurs qui se produisent dans le chœur, et lors des récitals, des interprètes de seconds rôles. Cette organisation ouvre des perspectives car l’absence d’assignation à une fonction précise montre qu’il y a des chemins pour passer de l’une à l’autre, et politiquement, le message est intéressant : chacun peut intervenir à plus d’un titre dans l’œuvre collective et les hiérarchies ne sont fondées que sur l’usage des capacités des uns et des autres selon les contextes, et non pas sur une quelconque valeur absolue.
Cette digression faite, revenons aux deux représentations qui ont occupé notre journée de dimanche. En fin de matinée, le festival présentait The Master, création d’après le roman de l’auteur irlandais Colm Tóibín (également librettiste de l’opéra) mettant en scène l’écrivain britannique Henry James. Le livret juxtapose plusieurs épisodes de la vie d’Henry James : ses premiers pas malheureux comme dramaturge à Londres, des épisodes familiaux, son isolement créatif… le personnage de Constance Fenimore Woolson sert de fil conducteur à ces tableaux disparates. Amie de l’écrivain, décédée des suites d’une chute du quatrième étage d’un palais vénitien (ou d’un suicide ?), entretenant des sentiments sans retours pour James, elle revient hanter l’écrivain sous la forme d’un souvenir, jouant le rôle du chœur antique en commentant l’action.
La musique d’Alberto Caruso est celle d’une conversation en musique. Le lyrisme est contenu, il s’agit bien d’un opéra de chambre, et la musique est continue, pas d’arrêt ni de stase pour ponctuer le discours. Le langage – aux harmonies enrichies, prenant parfois ses distances avec les fonctions tonales – s’inscrit dans l’héritage de Britten – on pense parfois à Death in Venice – mais sans en avoir l’invention. En presque deux heures de musique, on est surtout marqué par la scène finale, où l’auteur répand dans la lagune les effets personnels de son amie après sa mort. Scène forte dramatiquement et dramaturgiquement et ayant mieux stimulé l’imagination du compositeur.
La distribution réunie est homogène et se prête bien au jeu du style exigé par la partition, renonçant à la posture opératique, même si l’on peut regretter parfois une plus grande distinction dans la prononciation. L’écrivain est interprété par un ténor, Thomas Birch, qui fait ici preuve d’une endurance impressionnante – il est en scène pendant tout l’opéra. D’un joli timbre clair et d’une voix qu’on devine capable d’une grande puissance, il compose un personnage qui oscille entre sensibilité et arrogance. La mezzo-soprano Annabella-Vesela Ellis séduit immédiatement par la qualité de la ligne vocale et de l’incarnation, sa Constance parvient à devenir un personnage touchant, malgré un rôle principalement dévolu au commentaire. Au piano, le compositeur dirige la distribution avec autorité et défend sa partition avec conviction.
Changement de genre, l’après-midi était consacrée à l’opérette avec The Spectre Knight d’Alfred Cellier. Créée en 1878, cette courte œuvre – moins d’une heure – s’inscrit dans la longue et riche histoire du divertissement anglais. Mêlant dialogues et ariettes, le spectacle est tributaire des traditions de la pantomime – comédie musicale destinée à un public familial et présentée pendant certaines périodes de l’année (Noël) où l’on trouve des chansons, de la danse et reposant largement sur le jeu et l’abattage comique des interprètes. Présentée comme une fanciful operetta il s’agissait d’un curtain-raiser (un lever de rideau) qui précédait les opérettes de Gilbert et Sullivan, dont Cellier était un des chefs d’orchestre attitrés.
Un Grand Duc déchu, sa fille Viola et son Lord Chamberlain vivent en compagnie de deux dames de compagnie, reclus dans une vallée éloignée de toute vie humaine, jusqu’au jour où un moine survient. Il s’agit en réalité d’Otho, le cousin éloigné de la belle Viola, qui a reconquis le pouvoir pour son oncle, et souhaite en épouser la fille – après avoir vérifié qu’elle était à son goût. C’est chose faite à la fin de la pièce, après s’être fait passé pour le légendaire Chevalier-fantôme avant de révéler sa véritable identité. Les personnages sont typés, Viola est une ingénue (stupide), le Duc un barbon (également limité) et Otho un jeune premier (très légèrement moins limité que les deux précédents). Voilà donc pour l’intérêt dramatique : quiproquos, jeux de scènes, jeux de mots, citations opportunes d’airs d’opéras (Là ci darem) ou de pièces canoniques (duo des chats)… la pièce convie le spectateur à une réjouissance facile à travers l’hétéroclite, l’absurde, le grivois et le cabotinage. On aurait tort de bouder son plaisir, surtout que la pièce est réalisée comme il faut, c’est-à-dire sans prétention opératique : les acteurs parlent en chantant, évitant ainsi d’alourdir le divertissement. On apprécie ainsi les deux dames de Grace Maria Wain et Erin Fflur, bien pestes comme il faut, le Lord Chamberlain de Monwabisi Lindi – de loin le personnage le plus malin –, le Duc résonnant de Thomas Bennett, le chevalier cabotin de Matthew Nuttall et la Viola simplette de Jennifer Lee, tous bien menés dans la mise en scène colorée et rythmée de Sinéad O’Neill, et accompagnés par le piano incisif de Gioele Muglialdo.
Jules Cavalié
Jennifer Lee (Viola) dans The Spectre Knight. © Pádraig Grant