DVD Decca 074 3467. Distr. Universal.
Qui veut bien ne pas se pâmer systématiquement à la seule évocation de Cecilia Bartoli relativisera les louanges hyperboliques adressées à cette production rossinienne dont les faiblesses intrinsèques, voire les ridicules, n'épargnent pas sa protagoniste bénie des critiques. Cet ouvrage composé avec amour, selon les termes de Berlioz qui le considérait comme l'un des meilleurs du musicien, ce bijou musical dont le mélodisme est, à l'occasion, apparenté à celui de Mozart, voilà en effet qu'une fois encore nos théâtreux le ravalent au rang d'une farce de carabins. Après Savary, Pelly et consorts, le tandem Leiser-Caurier, tout esbaudi à l'idée de transférer le gothique troubadour de cet opéra léger dans la France du Général de Gaulle, nous ressort tout l'attirail de l'académisme moderne. Raimbaud rameute les jouvencelles en tricot de corps et bretelles, la Comtesse franchouillarde fait son entrée en 2 CV avant de se retrouver dans la caravane années 60 dévolue au boxon (restons dans la note!) dans lequel officie un Ory déguisé en aveugle libidineux... et tutti quanti.
D'inévitable manière, le chant subit la contagion de cette vulgarité ambiante et se calque sur sa rustauderie. A ce Raimbaud des plus prosaïques, raide comme un bonimenteur, répond un Gouverneur grommelant honteusement ses vocalises, une Ragonde primaire au français tout aussi incompréhensible. Le ténor Javier Camarena pousse la note non sans un certain brio, avare, au demeurant, de subtilité. On est allé distribuer le rôle travesti d'Isolier à une Barberina passée par le baroque minkowskien, petite voix aux antipodes de l'esthétique de Rossini. Et Bartoli ? La couleur de la mezzo est beaucoup plus en règle avec les canons de ce dernier que celle des sopranos habituellement entendues dans cet emploi, nonobstant les nombreux aigus émaillant son discours et dont la Romaine s'acquitte assez bien, à l'exception de quelques cris d'orfraie accompagnant son effeuillage destiné à embraser les sens du page adoré. Ce sont plutôt les graves vilainement ouverts et les roulades mécaniques qui, à notre sens, doivent tempérer le jugement porté sur cette vocaliste mi-sophistiquée, mi roturière.
Le tout est accompagné par un orchestre d'instruments anciens dont la pertinence reste à démontrer dans ce répertoire, s'agissant par exemple des cordes traînassantes que ne parvient pas à unifier le très diligent chef chinois Muhai Tang, tant il est vrai que l'iconoclasme des mises en scène "tendance" se pare, comme chaque fois, de l'alibi musicologique des fameuses «versions révisées» (ici celle de Damien Colas) et de ces chalumeaux et autres théorbes convoqués au nom de la «sonorité d'époque». On préfèrera, toute honte bue, le sage délire scénique de la version new-yorkaise de 2011, les prestations superlatives de Flórez, Degout et Di Donato (Isolier) compensant largement les mignardises germaniques et pointues de Diana Damrau.
J.C.