Florian Boesch (Saul), Jake Arditti (David), Anna Prohaska (Merab), Giulia Semenzato (Michal), Rupert Charlesworth (Jonathan), David Webb (Abner/le grand-prêtre/Doeg), Rafał Tomkiewicz (la sorcière d'Endor), Andrew Morstein (Amalekite). Orchestre baroque de Fribourg et Chœur Arnold Schoenberg, dir. Christopher Moulds, mise en scène, Claus Guth (Theater an der Wien, avril 2021).
Unitel 805508 (2 DVD). 2021. Présentation, synopsis et sous-titres français. Distr. DistrArt Musique.
Après le spectacle flamboyant et bigarré de Barrie Kosky filmé à Glyndebourne en 2015 (Opus Arte), la vidéographie de l'oratorio Saul s'enrichit d'une seconde version, donnée sans public au Theater an der Wien en avril 2021. Infiniment plus austère et bouleversante à notre avis, la mise en scène de Claus Guth (d'abord créée à Vienne en 2018) recèle une âpre beauté en accord avec la réflexion désenchantée sur le pouvoir que propose l'immense chef-d'œuvre de Haendel. Dans une scénographie dépouillée très largement dominée par le noir et le blanc et qui réduit la pompe royale à sa plus simple expression, la souffrance abyssale du premier roi d'Israël prend des proportions véritablement shakespeariennes (comportement erratique, état voisin de la catalepsie, crises rappelant l'épilepsie...) et se transmet à son successeur, le héros David. Atteint de semblables tremblements, le vainqueur de Goliath répète les mêmes gestes, en particulier celui d'écrire son nom sur un mur avec de la boue. L'exultation finale du chœur ne traduit ainsi qu'un triomphe fallacieux, car une espèce de malédiction semble peser sur ceux que Jéhovah désigne pour conduire son peuple. D'une importance capitale, ce dernier devient avec Guth protagoniste à part entière et compose des tableaux saisissants, en particulier au moment de la déploration de Saul et de Jonathan et lors des réjouissances ultimes.
Pareille réussite est rendue possible grâce aux talents conjugués d'une formidable équipe de chanteurs qui adhèrent entièrement à cette conception théâtrale. Florian Boesch est à cet égard criant de vérité en roi dément qui fait le malheur autour de lui sans arriver à comprendre ce qui le pousse à agir de la sorte. L'incarnation est tellement puissante qu'on en oublie le manque d'agilité d'une voix par ailleurs très sonore et autoritaire... qui se charge également des répliques du prophète Samuel dans une étonnante scène de dédoublement psychologique. Si le contre-ténor Jake Arditti possède un instrument nettement plus délicat qu'il a parfois tendance à forcer, il n'en campe pas moins un David à la technique solide et au timbre agréable. Pourvu d'un physique avantageux, il exerce un pouvoir de séduction aussi bien sur les filles de Saul que sur Jonathan, cette dimension érotique étant illustrée de façon explicite dans l'air « Such haughty Beauties ». En fidèle compagnon de David, Rupert Charlesworth est parfaitement juste dans l'expression de son attachement et projette avec aisance une ravissante voix de ténor. L'excellente Giulia Semenzato est pour sa part la candeur même en Michal, épouse de David délaissée dans le tableau final au profit d'une inconnue. La Merab d'Anna Prohaska vaudrait à elle seule la découverte de cette version, tant sa grande voix se plie admirablement aux inflexions des lignes haendéliennes, comme dans les superbes « Capricious Man » ou « Author of Peace ». Dans les trois rôles d'Abner, du grand-prêtre et de Doeg, David Webb ne mérite que des éloges, à l'instar d'Andrew Morstein en Amalekite, tandis que le court rôle de la sorcière d'Endor (se confondant ici avec une domestique de Saul) ne marque pas les esprits en raison des limites vocales du contre-ténor Rafał Tomkiewicz. Le chœur Arnold Schoenberg se surpasse tout au long de la représentation, en particulier dans l'expression du deuil (déchirant « Mourn Israel ») et de la jubilation (irrésistible « Gird on thy Sword »). Dans la fosse, Christopher Moulds crée un extraordinaire sentiment d'urgence dramatique tout en faisant merveilleusement sonner l'Orchestre baroque de Fribourg. La réunion de toutes ces qualités font en sorte que cette production se hisse selon nous à peu près au niveau de l'inoubliable Theodora (Glyndebourne, 1996) de Peter Sellars.
Louis Bilodeau