Pour conclure la résidence de chant de l’Académie du Festival d’Aix-en-Provence, c’est précisément une œuvre de fin d’étude qui été choisie pour mettre en valeur les jeunes artistes. Relatant les tourments de Guillaume d’Aquitaine, Li prodigi della divina grazia nella conversione e morte di San Guglielmo Duca d'Aquitania présente le combat entre l’ange et le démon pour attirer à eux Guillaume et son bras droit le capitaine Cuosemo. Ce dramma sacro s’inscrit dans la tradition des oratorios en langue vulgaire, et emprunte quelques éléments à l’opera buffa, signalés par la présence de dialecte napolitain et de tournures musicales cultivant un aspect plus populaire, voire jouant sur des effets comiques : le personnage de Cuosemo évoque parfois les valets d’opéra, plus superstitieux que mystique. L’œuvre fait régulièrement appel à un style brillant, un canto di sbalzo de pure tradition napolitaine, et se pare de quelques pages qui requièrent la maîtrise du messa di voce, notamment la très belle scène qui réunit Arsenio – Saint Bernard de Clairvaux sous l’apparence d’un ermite – et Guillaume en proie au doute.
Au regard de la fonction remplie par ce concert, le choix de l’œuvre pourrait s’avérer judicieux : de nombreux airs pouvant être répartis entre les interprètes, donnant à chacun la possibilité de montrer – à égalité avec les autres – le fruit de son travail pendant les trois semaines de résidence. Du point de vue dramatique, le résultat est assez décousu : un chanteur dit le récitatif, puis un autre enchaîne avec l’air… et les jeunes interprètes ne se limitant pas à un seul personnage, il est parfois difficile de suivre l’action. En outre, malgré un argument concis et solide et une mise en perspective historique efficace pour situer l’œuvre dans son contexte signés par Chantal Cazaux, force est de constater que communication et dramaturgie du Festival n’ont pas pu s’accorder pour augmenter le programme de quelques pages où l’on aurait pu trouver, a minima, la liste des airs avec le nom de l’interprète en regard. La difficulté à suivre le déroulé de l’œuvre souligne le caractère disparate de la production, nuisant à la cohérence musicale du projet. Enfin, on peut se demander pourquoi avoir voulu à tout prix présenter une œuvre qui a nécessité de multiples transpositions pour permettre à toutes ces voix de participer – l’œuvre ne supposant à l’origine que cinq sopranos et deux basses ? Les éditions précédentes ont prouvé que des récitals habilement construits peuvent largement compenser l’absence d’œuvre.
Ces réserves émises, on peut dire tout le bien qu’on a pensé de ces jeunes artistes, qui partagent de nombreuses qualités communes, signe du travail effectué au mois de juin. Ainsi, une attention particulière a été portée à la prononciation de l’italien et notamment à ses consonnes, et il est évident qu’un travail d’incarnation, engendrant une esquisse de jeu scénique, a aussi été mis sur le métier. Néanmoins, ce travail commun ne fait pas disparaître la diversité des personnalités. Du côté des sopranos, Alexandra Oomens ouvre le concert avec brio et un abattage technique certain, la partition ne nous fait qu’entrevoir les moyens colossaux de Cyrielle Ndjiki – voix immense et timbre moiré –, et Erika Baikoff donne à entendre, de son timbre velouté, vocalises agiles et son filés. La mezzo-soprano Juliette Mey se distingue – outre un talent pour la vocalisation – par un investissement particulièrement sensible dans l’interprétation. On retrouve avec plaisir le contre-ténor Théo Imart (déjà entendu dans une production du Jardin des Voix en 2019 qui confirme l’ampleur de ses moyens et le bon usage qu’il sait en faire alternant vocalises redoutables et sons filés, et se révèle particulièrement touchant dans l’air d’Arsenio et dans son duo avec Guglielmo (Erika Baikoff). Duke Kim a déjà la stature d’un ténor d’opera seria, et une maturité de timbre surprenante, interprétant exclusivement Saint Bernard, il impressionne par son autorité tranquille, digne du magistère moral du personnage. Jaka Mihelač compense des apparitions moins nombreuses par une belle présence théâtrale. La basse Paweł Horodyski a le timbre noir du démon et la projection généreuse. Enfin, William Guanbo Su basse au style méphistophélique, séduit autant qu’il effraie de sa voix ample et corsée.
Les académiciens étaient placés sous la direction de Korneel Bernolet – qui a aussi assuré le travail de répétition en remplacement de Christophe Rousset. Dirigeant du clavecin, il est malheureusement moins disponible pour véritablement diriger les chanteurs, mais constitue un soutien sans faille à la tête des Talens Lyriques qui, malgré un beau travail de couleur, pâtissent de la trop grande fragmentation de la production pour pouvoir proposer un discours abouti.
Jules Cavalié