DVD Euroarts 2059638. Distr. Harmonia Mundi.
On l'oublie trop, mais le roman et la pièce de DuBose Heyward furent loin de faire l'unanimité dans la communauté afro-américaine. Nombre d'intellectuels stigmatisèrent une vision raciale des noirs et de leur mode de vie, condamnation qui se renforça lorsque Gershwin présenta son opéra sur Broadway à l'Alwin Theater le 10 octobre 1935, décidément l'œuvre d'un musicien blanc - et pas même chrétien, protestèrent certains. Le fait est qu'on n'a jamais vu une mise en scène radicale de Porgy and Bess, qui l'éloignerait des taudis de Catfish Row ou des paysages de carte postale de l'île de Kittiwah et déroulerait sa parabole d'un amour contrarié - dont l'issue finale reste encore incertaine lorsque Porgy part avec sa mule à la recherche de Bess qui a suivi ses démons et Sportin' Life à New York. Et ce n'est pas le spectacle très traditionnel de Francesca Zambello, dont la transposition de l'action des années trente aux années cinquante passe inaperçue, qui osera quoi que ce soit. Voici donc un Porgy and Bess de pure tradition qu'on a l'impression d'avoir déjà vu cent fois, avec la même emphase dans la quête pour les funérailles de Robbins, la même animation bon enfant lors du pique-nique à Kittiwah - sans l'évocation d'une cérémonie vaudou que d'autres y auront osé -, bref : un hymne très traditionnel à une négritude déclassée rongée par la misère et la drogue. John DeMain, avec la bénédiction de David Gockley, a repris le principe de la production légendaire qu'ils avaient jadis conçue pour l'Opéra de Houston, plus fidèle aux intentions initiales de Gershwin et donc en deux actes au lieu de trois ; ce qui accentue le hiatus entre un spectacle assez Broadway - le public ne s'y trompe pas qui applaudit après chaque numéro - et un ton musical résolument grand opéra. On se rembourse avec une belle équipe de chant, dominé par le Porgy plus inquiet qu'amoureux, décidément très singulier, selon Eric Owen, qui prenait le rôle, et la Bess subtilement chantée par Laquita Mitchell, très bonne actrice mais qui ne fera pas oublier le chic et la présence érotique de Clamma Dalle. La Serena de Karen Black est plus tragique qu'à l'habitude, mais le Sportin'Life de pure comédie que Chauncey Packer dessine sans jamais le rendre dangereux serait presque un contresens s'il ne se réclamait si ouvertement du numéro de music-hall qu'y avait tenté jadis Sammy Davis Jr.
J.-C.H.