© Opera Ballet Vlaanderen/Annemie Augustijns
Plus qu’une œuvre dramatique, c’est un grand oratorio syncrétique que Schumann a « construit » dans ses Scènes de Faust, à partir du premier et, surtout, du second Faust de Goethe, faisant du protagoniste l’image même de la destinée humaine et de sa volonté de dominer le temps et de trouver un sens à son existence.
La mise en scène du vidéaste Julian Rosefeldt se présente comme une grande « cérémonie », reposant essentiellement sur le dialogue entre un flux continu d’étonnantes images et une chorégraphie aux limites de la pantomime où les protagonistes – Faust, Gretchen, Méphistophélès, Ariel – apparaissent et se fondent tour à tour parmi l’ensemble des exécutants, les deux chœurs d’adultes et d’enfants de l’Opera Ballet Vlaanderen et le Concerto Vocale de Gand, tous présents en permanence sur le plateau de l’ouverture jusqu’au grand ensemble final, et dont sortent les figures allégoriques de la troisième partie. Les images qui contrepointent les mouvements scéniques semblent à rebours du récit. Les scènes intimes de la première partie, consacrée à Marguerite, sont illustrées par une vision du cosmos où surgit un os de fémur humain (une réminiscence du 2001 de Stanley Kubrick ?) et où dérivent les débris de la civilisation dont un grand satellite. Puis, alors que le discours s’élève vers le ciel et la dimension religieuse, pour la Transfiguration de Faust après l’épisode de sa mort, elles nous emmènent sur une étrange planète désertique, qui pourrait être une Terre future, au-dessus d’une ville minérale et comme morte. Le voyage visuel s'achève dans une forêt, « paradoxale » dans ce contexte, où apparaissent enfin des êtres humains, aux looks très contemporains et très recherchés (piercings, tatouages..), en communion avec la nature et engagés dans une sorte de rave païenne et mystique tandis que le chœur exalte la figure de la Vierge et l'Éternel féminin.
D’évidence, le message est contemporain, écologique et féministe, donnant au texte de Goethe et à sa relecture par Schumann un caractère visionnaire, comme la promesse d’une renaissance après une probable « apocalypse ». Si la mise en scène qui refuse d’identifier des personnages au sein de ce rite, au-delà des quatre principaux, peut paraître parfois absconse, à défaut de saisir la multiplicité des références du texte, elle réussit à donner un sens global à une œuvre qu’on imagine difficilement représentable de façon littérale.
La réussite de la production doit énormément à la direction sensible, engagée et nuancée de Philippe Herreweghe à la tête de l’excellent Orchestre symphonique d’Anvers. Le chef maîtrise à la perfection les contrastes et les audaces d’une partition fascinante aux accents brahmsiens, voire pré-wagnériens, et semble y investir cette foi profonde que l’on trouve dans son interprétation des Passions de Bach. La distribution, essentiellement composée de jeunes chanteurs peu connus, se révèle absolument idéale. À peine reprochera-t-on au Faust du baryton autrichien Rafael Fingerlos, une projection un peu limitée, qui le fait disparaître dans les grands ensembles, ce qui n’est certes pas le cas du Méphistophélès richement timbré de la basse allemande Sam Carl, de la Gretchen brillante d’Eleanor Lyons ou de l’Ariel stylé du ténor turc Ilker Arcayürek. Dans une pièce où l’aspect choral est essentiel, on reste fasciné par la qualité et la fusion parfaite des deux ensembles et la justesse du chœur d’enfants et de ses jeunes solistes.
Cette production hors normes qui conclut la saison 2021-2022 de l’Opera Ballet Vlaanderen sera reprise en octobre à Gand et pourra également être vue à l’Opéra de Montpellier qui en est le coproducteur, les 12 et 14 mai prochains. Une occasion à ne pas manquer, vues la rareté de l’œuvre, la réussite musicale de l’ensemble et l'originalité de la démarche « théâtrale ».
Alfred Caron
© Opera Ballet Vlaanderen/Annemie Augustijns