Andreas Schager (Max), Camilla Nylund (Agathe), Alan Held (Kaspar), Daniela Fally (Ännchen), Adrian Eröd (Ottokar), Albert Dohmen (un ermite), Clemens Unterreiner (Kuno), Gabriel Bermúdez (Kilian), Hans Peter Kammerer (Samiel), Orchestre et chœur de l'Opéra de Vienne, dir. Tomáš Netopil, mise en scène, Christian Räth (juin 2018).
C major 760008 (2 DVD). 2018. 2h23. Notes et synopsis en français, allemand et anglais. Distr. DistrArt Musique.
Succédant à Otto Schenk (1972) et Alfred Kirchner (1995), le metteur en scène allemand Christian Räth proposait en 2018 sa production du Freischütz à l'Opéra de Vienne. Dans sa vision, le chasseur Max devient un compositeur du XIXe siècle – très semblable visuellement à Weber lui-même – aux prises avec les affres de la création. Afin de pouvoir compléter la composition de son opéra qui lui permettra d'épouser Agathe, le musicien se livre au pouvoir de forces occultes qui libèrent ses forces créatrices. L'idée pourrait être séduisante, mais sa réalisation scénique ne réussit pas à convaincre et laisse même une impression de déjà vu. Peut-être inspiré par La Dame de pique de Stefan Herheim (Amsterdam, 2016), où l'on voyait Tchaïkovski en train de composer avec fougue et diriger un orchestre imaginaire, Räth montre Max alias Weber noircir des pages de musique, jouer au piano et faire répéter les chœurs. Comme chez Herheim (où la dimension biographique était superbement exploitée), le héros est démultiplié dans la scène de la Gorge aux Loups, mais le procédé tourne court et le tableau, qui manque totalement de puissance fantasmagorique, tombe à plat. Le lien entre les balles magiques et les feuilles de l'opéra de Max s'avère d'ailleurs forcé, pour ne pas dire nébuleux. On ne comprend pas non plus très bien certaines incongruités, comme la valse entre hommes du premier acte, le travestissement de Samiel et la raison pour laquelle l'ermite apparaît au dénouement dans un énorme lustre descendant des cintres.
L'interprétation musicale nous console heureusement de cette déconvenue scénique. Déjà documenté par l'enregistrement de Marek Janowski (Pentatone, 2018), le Max d'Andreas Schager se situe sur les cimes : ardeur, vaillance, ampleur des moyens et insolence des aigus sont absolument exceptionnelles. Lui aussi présent dans le coffret dirigé par Janowski, Alan Held campe un Kaspar au superbe timbre de baryton-basse qui sait traduire tout le côté inquiétant du personnage. Camilla Nylund possède également une grande voix aux riches harmoniques qui arrive à dominer sans peine les masses orchestrales, mais le sublime « Und ob di Wolke » accuse un vibrato gênant et surtout une justesse prise en défaut. Habillée à la garçonne et affublée d'une curieuse perruque blanche, Daniela Fally possède une ravissante voix fruitée qui convient admirablement à l'espiègle Ännchen. Outre le remarquable Kuno de Clemens Unterreiner et le très digne Ottokar d'Adrian Eröd, la distribution comprend l'ermite au chant somptueux d'Alan Held. De même que dans son intégrale enregistrée au Théâtre Aalto d'Essen (Oehms, 2019), Tomáš Netopil offre une lecture passionnante de la partition, d'une énergie communicative dans les scènes de liesse, pleine de relief dans les moments relevant du fantastique et d'une belle atmosphère envoûtante dans les pages d'intériorité. Pour ce faire, il peut compter sur de prodigieux pupitres de cors, de bois et de cordes ainsi que sur un chœur en forme superlative. Si l'oreille est à la fête, l'œil nous rappelle cependant que Der Freischütz attend toujours le DVD qui lui rendra pleinement justice.
Louis Bilodeau