Roberto Alagna (Werther), Kate Aldrich (Charlotte), Marc Barrard (Albert), Nathalie Manfrino (Sophie), Michel Trempont (le Bailli), Léonard Pezzino (Schmidt), Armando Gabba (Johann), Alessandro Inzillo (Brühlmann), Ivana Cravero (Kätchen). Orchestre du Teatro Regio de Turin, direction Alain Guingal, mise en scène David Alagna (juin 2005).
DVD DG 076 288 3. Distr. Universal.

Roberto chante, Nathalie aussi, David fait les décors - avec Frédérico - et met en scène : tout se passe en famille. Mais ce n'est pas là, chacun le sait, qu'on fait les meilleures affaires. Cette production turinoise de 2005 ressemble à un mélo kitsch des années cinquante, avec une approche très cinématographique, à tel point qu'on ne voit ni la fosse ni le chef, qui ne paraît que pour les saluts, et qu'on n'entend aucun applaudissement pendant la représentation : cela relève plus du film d'opéra et nous n'avons jamais l'impression de nous trouver dans la salle. Passons sur les chevaux et les chiens sur la scène, saluons quelques bonnes idées comme Albert brûlant les lettres de Werther, pour déplorer le minimalisme de la direction d'acteurs, dont Roberto Alagna, surtout aux deux premiers actes, pâtit le premier. Un grand metteur en scène l'aurait sans doute conduit à aller au-delà du chant pur, à incarner Werther. Or la splendeur vocale, ici, ne vise qu'à se déployer elle-même, dans toute sa superbe : beauté lumineuse du timbre, maîtrise du souffle, du phrasé, etc. Mais les nuances manquent, comme autant de signes du mal être du héros de Goethe. Celui-ci est bien loin, à vrai dire : Alagna chante Werther sans l'interpréter. Si l'on pouvait discuter à Bastille, en janvier dernier, de l'adéquation au personnage, il y avait au moins une interprétation. Dommage : le ténor est bien entouré. Kate Aldrich, à défaut d'une articulation exemplaire, a la jeunesse torturée de Charlotte, voix ni trop légère ni trop dramatique, aînée d'une Nathalie Manfrino au vibrato maîtrisé, à la fraîcheur sans mièvrerie, plus adulte peut-être que les Sophie de la tradition. L'Albert de Marc Barrard, bon garçon que la jalousie douloureuse rend mauvais, fait honneur au chant français, comme les vétérans Michel Trempont et Léonard Pezzino, tous trois rendant plus insupportable encore le Johann au français impossible d'Armando Gabba. Ne demandons pas à Alain Guingal les couleurs raffinées d'un Michel Plasson, laissons-le simplement conduire en bon chef de théâtre ce Werther turinois, où Roberto Alagna s'écoute trop chanter. Pour une production qui conjugue la tradition et la finesse, retournons à Bastille, pour retrouver Jonas Kaufmann, Michel Plasson et Benoît Jacquot.

D.V.M.