Tout droit venue de Bruxelles et précédée d’une réputation assez sulfureuse, la production de Tosca de Rafael R. Villalobos ne pouvait que déranger le public plutôt traditionnel de l’Opéra Berlioz qui, au rideau final, l’a accueillie avec force huées, après quelques protestations pendant la représentation elle-même. La plus significative d’entre elles est celle d’un spectateur réclamant « Tosca » dans un moment où décidément le spectacle n’en finit plus de digresser dans une histoire parallèle à laquelle seuls les connaisseurs de la biographie et l’œuvre de Pasolini sont susceptibles de comprendre quelque chose. En effet, plus qu’une transposition, la mise en scène propose une vision qui, outre une certaine modernisation des costumes, entremêle à la trame originale de l’opéra de Puccini, traitée de façon assez classique, des références au cinéaste et poète italien et plus particulièrement à son dernier film, Salò ou les 120 Journées de Sodome, où fascisme et sadisme sont assimilés, et dont la pertinence paraît souvent discutable. Le rapport entre le peintre Cavaradossi (un Volteriano et non un Républicain, comme le traduisent les surtitres) et l’artiste engagé et marginal que fut Pasolini, paraît bien ténu, d’autant plus que le comédien censé incarner le cinéaste sur le plateau manque singulièrement de carrure et de présence et que la seule ressemblance qui le relie à son modèle et au ténor, lui-même assez fade scéniquement, ne tient que dans le costume et dans un destin fatal dont les attendus ne sont guère comparables. L’évocation de son assassinat sur la plage d’Ostie paraît vraiment plaquée, traitée du reste dans un registre sentimental et mélodramatique à l’opposé de son sens politique, malgré les nombreux textes didactiques projetés sur le transparent et censés l'expliquer.
Seul, le deuxième acte où la violence psychologique et le climat sadomasochiste qu’évoquent ces « adolescents » dénudés, traités en objets sexuels qui sont en fait les enfants de chœur qui au premier acte étaient déjà victimes d’attouchements de la part du sacristain transformé en prêtre, réussit à réaliser une véritable osmose entre les deux niveaux de réalité. Le décor unique, une tournette circulaire associant un ensemble de grilles (piranesiennes) et d’arcades (architecture fasciste) évoque tour à tour les trois lieux de l’action (église, palais, prison) et surtout l’idée de l’enfermement et de l’oppression des trois pouvoirs. S’y ajoutent un ensemble de tableaux de molosses hurlants du peintre Santiago Ydáñez et un rideau de scène entre les deux derniers actes d'une Judith et Holopherne très « caravagesque » qui viennent renforcer le climat de violence déjà très exacerbé dans l’opéra lui-même. La fin plus dépouillée offre une vision quasi abstraite de la mort de Tosca qui se dirige vers un rideau de lumière en fond de scène et donne une véritable dimension religieuse à son ultime réplique. Sans doute cet essai dramaturgique fonctionnerait-il mieux avec un plateau vocal de meilleur niveau car, à l’exception de la solide Tosca de la soprano polonaise Ewa Vesin à qui on ne reprochera qu’une conception un peu trop minaudante de l’amoureuse du premier acte, les deux autres protagonistes paraissent un peu faibles pour soutenir une conception aussi extrême. Le Scarpia de Marco Caria manque singulièrement de projection et de puissance, ce qui est patent dès le finale du premier acte où il est écrasé par les masses sonores de l’orchestre et des chœurs déployés dans la salle pour le « Te Deum » mais devient carrément problématique dans le duo du deuxième acte où il frise un moment l’étouffement (bien avant que Tosca ne se charge de l’étrangler avec les chaînes dont il s’était affublé en vue de la consommation de leur pacte). C’est d’autant plus dommage que lorsqu’il ne s’agit que de déclamation, son baryton bien timbré et parfaitement idiomatique donne un relief certain au personnage. Si le beau ténor à l’aigu facile de Amadi Lagha se déploie avec élégance dans les aspects lyriques du rôle, notamment dans son dernier air et le duo avec Tosca qui suit, le chanteur manque un peu de carrure pour les côtés plus spinto du rôle, notamment dans le deuxième acte où son « Vittoria, Vittoria » passe un peu à la trappe.
L’ensemble des petits rôles est tenu avec compétence mais on retient particulièrement le jeune Spoletta agile de Yoann Le Lan, l’excellent sacristain de Matteo Loi et le geôlier de Xin Wang. Si le contre-ténor Léopold Gilloots-Laforge ne démérite pas, on souhaiterait pour une fois que la chanson du berger retrouve toute la fraîcheur que peut lui donner une voix d’enfant, surtout dans un tel contexte. Une ressource qu’on aurait pu trouver parmi les petits chanteurs de l'excellent chœur d’Opéra Junior. Dans la fosse, Michael Schønwandt dirige dans un juste équilibre entre lyrisme et dramatisme, donnant de la partition une lecture assez carrée mais qui soutient au final bien cette interprétation ambitieuse mais parfois un peu trop risquée et décalée qui, pour un public non initié, se révèle déconcertante voire assez choquante.
Alfred Caron