Sonya Yoncheva (Stephana), Giorgi Sturua (Vassili), George Petean (Gléby), Caterina Piva (Nikona), Giorgio Misseri (Il Principe Alexis), Antonio Garés (Ivan), Orchestra e Coro Maggio Musicale Fiorentino, dir. Gianandrea Noseda, mise en scène, Roberto Andò, décors et lumières, Gianni Carluccio, costumes, Nana Cecchi, réalisation, Tiziano Mancini.
Enregistrement live, mars 2022, Teatro del Maggio Musicale Fiorentino.
Dynamic 57928 (1 DVD) Notice et synopsis en italien-anglais. Distr. Outhere.
 
Le livret de ce chef-d’œuvre peu connu du vériste Giordano doit beaucoup au génie de Dostoïevski, forgé notamment à l’épreuve de la déportation de ce dernier évoquée dans ses Souvenirs de la maison des morts. Le compositeur parvient à traduire la puissance évocatrice de ces pages, tant la richesse et les subtilités de sa partition sont de nature à exalter les tourments abyssaux de ses héros en une expression haletante. Au-delà des limites du vérisme dont il est l’un des représentants les plus singuliers, ce musicien profus, admiré de Fauré, offre avec Siberia un ouvrage à tous égards hors norme.
 
La production florentine récente de cet opéra initialement ancré dans le contexte du XIXe siècle, obéit à la règle, aujourd’hui convenue, de sa transposition dans celui de l’après Seconde Guerre mondiale. Staline et son goulag succèdent ici à la tyrannie tsariste. On n’échappera pas davantage au stéréotype, désormais récurrent, d’un espace scénique dénudé, transformé en studio de cinéma dans lequel les protagonistes vont et viennent au rythme du tournage en cours. L’artifice réussit plutôt bien au scénario à rebondissements, même si ce cinéma dans le théâtre tend à brouiller les cartes dans la présente mouture au format DVD.
 
 Le cœur battant de l’opéra en trois actes est celui de son héroïne, Stephana, une courtisane entretenue par un certain prince Alexis, auquel elle a été vendue par le scélérat Gléby, hier son amant. Apprenant la vérité sur l’existence dorée de la belle, le jeune officier Vassili, follement épris d’elle, tue ledit prince, ce qui lui vaut la déportation en Sibérie où elle le rejoint bientôt. La jalousie de l’infâme Gléby aboutira à compromettre la fuite des deux amoureux, réunis dans la mort sous les coups de leurs cerbères. En 2017, le festival Radio France de Montpellier révélait en la personne de la chanteuse Sonya Yoncheva une Stephana inspirée, digne des noces ardentes du génie dostoïevskien et d’une musique propre à en traduire la quintessence. Il est clair que les auteurs de ce dramma en trois actes n’ont d’yeux et d’oreilles que pour son héroïne, incarnée à la première milanaise de 1903 par l’époustouflante et inimitable Rosina Storchio. Il revient à la soprane bulgare de relever ce défi. Les moirures du timbre, la puissance et la rondeur des aigus qui l’exacerbent sans jamais le brutaliser, le pathétique sans pathos qui nourrit ses déclarations passionnelles et la douleur de la scène finale : l’ensemble des qualités requises jointes à une présence physique toute de dignité ardente, assurent à l’interprète un triomphe mérité. Son ténor amoureux, Giorgi Sturua en Vassili, est franchement étriqué à tous les égards, du grave à l’aigu, et son timbre nasal peut déplaire. La fureur qu’il déploie au troisième acte en est caricaturale. La prestation scénique et vocale du vaillant George Petean, en jaloux méchant, demeure convenue. Celle du prince Alexis, confiée au ténor Giorgio Misseri, est de bon profil.

L’orchestre florentin, toutes voiles dehors sous la battue de Noseda, trouve heureusement dans les efflorescences du chœur une invitation à pondérer les paroxysmes de ses élans débridés. Au total, un opéra à découvrir ou redécouvrir, sous l’aile de sa prima donna d’exception.

 

Jean Cabourg