Sara Jakubiak (Francesca), Jonathan Tetelman (Paolo), Ivan Inverardi (Giovanni), Charles Workman (Malatestino dall’Occhio), dir. Carlo Rizzi, mise en scène, Christof Loy, décors, Johannes Leiacker, costumes, Klaus Bruns, lumières, Olaf Winter, réalisation, Götz Filenius.
Enregistrement février-mars 2021, Deutsche Oper Berlin.
Naxos 2.110711 (1 DVD). Notice et synopsis anglais et allemand. Distr. Outhere.
Il n'est pas sûr que la version offerte par l'Opéra de Berlin de l'oeuvre-phare de Zandonai, inspirée au musicien par un livret de D'Annunzio nourri de la Divine comédie de Dante, soit de nature à en flatter les vertus musicales et vocales. L’assassinat de la noble héroïne du XIIIe siècle par le mari boiteux et jaloux qui lui a été imposé en pleine guerre des Guelfes et des Gibelins, cette mythique tragédie, a généré outre une vingtaine de romans et de drames, maintes pages orchestrales et cinq opéras. Ici, celui d’un compositeur cosmopolite brasse les influences les plus diverses, du post-romantisme italien à Wagner, Richard Strauss et Debussy. Il est à craindre qu’en dépit de la maestria du chef Carlo Rizzi, déployée aux fins de conjuguer ces influx divers et contradictoires, le spectateur de la présente captation audiovisuelle n'y voie qu’un expressionnisme néo-vériste. La photo illustrant ce DVD l’aura d’ailleurs alerté d’emblée, tant elle duplique celle inscrite au fronton de la Zazà signée Leoncavallo, mise en scène par le même Christof Loy pour Vienne. L’héroïne venue du Moyen-Âge dantesque se chaufferait-elle au même bois que la petite chanteuse d’un beuglant de Saint-Étienne dans les années 1900 ?
On est tenté de le croire tant les ardeurs de son brûlant Paolo en costume trois pièces semblent sortir tout droit d’un modernisme des plus prosaïques. Le décor même de ces étreintes fatales hésite entre le papier peint basique tapissant les murs de la véranda qui enserre les personnages de la tragédie ainsi rhabillée, et la reproduction d’une toile de Claude Lorrain, paysagiste nourri d’histoire ancienne, aperçue en arrière-plan. Au lever de rideau, un violoniste en tee-shirt, jeans et bonnet rouge aura donné le la de cette transposition un rien canaille. Allez donc après cela voir dans le duo étreignant du deuxième acte une réminiscence wagnérienne de Tristan ! La grosse caisse écrasant la scène finale de notre opéra, exacerbée tutta forza, caricature de même l’assomption tragique de la légendaire et poétique Francesca.
Comme souvent, les péchés vocaux font écho aux dérives visuelles. La soprano Sara Jakubiak, d’origine polonaise et allemande, applaudie dans Richard Strauss, Korngold, Verdi, Prokofiev ou Weber, est par trop dépourvue de la subtilité latine d’un chant appelé à s’affranchir des longues périodes de recitar cantando de la partition en se coulant dans une morbidezza lyrique liquide. Son amoureux, le ténor d’origine chilienne Jonathan Tetelman n’évite pas davantage de pousser la note au détriment de la noblesse censée l’idéaliser. Le « boiteux » Gianciotto, au physique redondant de mari trompé, revient au baryton Ivan Inverardi, brut de fonderie et surjouant, alors que le rôle du « borgne » Malatestino est confié au ténor américain Charles Workman, sanguinaire et demi. Les autres font rarement dans la demi-teinte. Redisons que le maestro Rizzi s’emploie à marier le feu et la cendre sans toujours préserver une musique, en vérité inégale, des exaspérations du jeu théâtral. Le chœur, mis à distance pour raison de Covid, nimbe l’ensemble d’une salutaire aura poétique.
Jean Cabourg