Massimo Zanetti. © Alain Hanel / Opéra de Monte-Carlo
L’opéra de Monte-Carlo poursuit cette année encore son entreprise d’interprétation des œuvres rares de Verdi. Après Stiffelio, Ernani, Attila et l’an dernier I due Foscari, c’était au tour de Il corsaro d’être à l’honneur. Longtemps sur le métier, cet ouvrage inspiré de Byron a d’abord suscité l’engouement de Verdi avant que le sujet ne finisse par le lasser et qu’il honore sa commande en en expédiant la composition en quelques semaines au début de l’année 1848.
Le sujet fleure bon un romantisme déjà suranné à la fin des années 1840. Corrado – le corsaire – vit en exil auprès de sa maîtresse Medora. Homme d’action, il déplore ce repos forcé quand des renseignements militaires lui sont livrés et lui permettent d’envisager un retour aux armes. Il décide de partir le jour même, au grand désespoir de Medora qui pressent qu’il ne reviendra pas. L’assaut manqué du palais du pacha Seid a permis à Corrado de sauver Gulnara, la favorite du pacha, qui s’est éprise de son temporaire libérateur. Mue par cet amour et la haine de son oppresseur, elle assassine Seid et s’enfuit avec Corrado. Lorsqu’ils arrivent auprès de Medora, Corrado et Gulnara la trouvent mourante : désespérée par l’absence de son amant, elle s’est empoisonnée pour le rejoindre – pense-t-elle – dans la mort. Foudroyé par ces sinistres retrouvailles Corrado se jette dans la mer puis Gulnara s’effondre de tristesse.
Rétrospectivement on comprend ce qui a finalement pu rebuter le compositeur de plus en plus intéressé par des drames moins spectaculaires où la caractérisation psychologique des personnages est centrale. Formellement, Il corsaro reste déterminé par la découpe de l’opéra romantique par numéros, ceux-ci s’organisant selon les structures traditionnelles, le langage de Verdi n’y est pas révolutionnaire mais donne déjà à entendre la matière dont seront fait ses opéras ultérieurs. Ainsi, on oscille entre affetti, scènes d’action et cabalettes brillantes, et l’histoire déroule sa palette de sentiments tragiques avec concision (moins de deux heures de musique) et efficacité verdienne.
Pour faire honneur à ce théâtre spectaculaire plus qu’introspectif, l’opéra de Monte-Carlo a réuni une équipe idéale. Massimo Zanetti sait tirer l’énergie et les couleurs du bel orchestre philharmonique de Monte-Carlo, et c’est une véritable leçon de direction d’orchestre que de le voir : anticipation, attention aux chanteurs, et encouragements permanent prodigués aux musiciens de l’orchestre par de discrets applaudissements esquissés depuis le podium après certains numéros. Le chœur répond avec enthousiasme aux sollicitations du chef, à tel point qu’il est parfois à la limite de couvrir les chanteurs. Pourtant ceux-ci ne manque pas de voix, bien au contraire. Giorgio Berrugi est un Corrado vaillant, au timbre percutant et aux aigus tranchants, phrasant « à l’ancienne » avec une délicieuse attention à chaque syllabe. Son amante Medora, est interprétée avec style par Irina Lungu. Le timbre est riche et la ligne est touchante, elle réussit à captiver avec ce personnage pourtant un peu monochrome dans le sentiment. Artur Rucinski est un beau baryton à la voix moirée, qui campe avec puissance et fierté le rôle du pacha sanguinaire. L’apparition de Roberta Mantegna est d’abord un choc : quelle voix ! La soprano prodigue sans retenue sa belle voix brillante et charnue, et darde ses aigus aussi bien qu’elle vocalise. La basse In-Sung Sim possède une belle voix qu’on souhaiterait entendre dans un rôle plus important que celui de Giovanni, et Maurizio Pace ne démérite pas lors de ses brèves interventions dans le rôle d’Aga Selimo.
Il n’y a certes pas tout ce qu’on peut attendre d’un opéra dans Il corsaro, l’œuvre manque de raffinement et la conduite dramatique est d’un intérêt variable, mais elle sert extrêmement bien des chanteurs capables de nous faire succomber à des jouissances sonores.
Jules Cavalié
© Alain Hanel / Opéra de Monte-Carlo