Valda Wilson (Alcina). © Astrid Karger
La réussite de cette Alcina, nouvelle production du Staatstheater de Sarrebruck, doit beaucoup à la direction de Sébastien Rouland. Sa battue souple et précise rappelle qu’avant d’être le Generalmusikdirektor de l’Opéra de Sarrebruck il a longtemps fréquenté le répertoire baroque et que son expérience lui permet, à la tête d’un petit ensemble d’une vingtaine de musiciens sur instruments modernes, de retrouver les sonorités adéquates à la musique de Haendel. À des tempi allants, une matière sonore transparente et colorée, des obbligatos assurés avec finesse par des solistes de premier plan (violon, flûte, violoncelle) et les affetti servis avec la plus grande variété, il faut ajouter un riche continuo, mené par Yvon Repérant au clavecin et à l’orgue, associé au luth et violoncelle, qui contribuent à la fluidité du discours. De la partition donnée dans son intégralité à quelques da capo près, on entend également les suites de ballet des premier et troisième actes, assez rares à la scène, chorégraphiées dans un style un peu naïf par Claudia Meystre pour la jeune compagnie iMove.
La mise en scène transpose l’île d’Alcina dans une sorte de biosphère où la « magicienne » devenue une scientifique, tout à la fois protectrice de la nature et dangereuse expérimentatrice, se livre sur ses captifs à toutes sortes de transformations, comme le laissent deviner quelques étranges machines. Au centre du décor monté sur une tournette qui nous fait traverser les différentes pièces de sa ruche-laboratoire au climat aseptisé dans laquelle on n’entre qu’en enfilant une combinaison et des bottes (bien peu seyantes, disons-le), un cœur de végétation luxuriante avec une cascade semble être le reste d’un monde primaire en voie de disparition. Elle y apparaîtra avec ses créatures au deuxième acte, après la trahison de Ruggiero sous l’aspect plus classique de la sorcière mythique, ayant troqué sa combinaison pour une magnifique robe de soie noire. La destruction de son univers pendant le ballet du troisième acte par les suppôts du capitalisme moderne, représenté par des hommes d’affaires, renforce l’ambivalence de la relecture et de son discours militant, qui s'achève avec les images vidéo d'animaux envahissant les rues d’une métropole et de jeunes protestataires écologistes sur fond du chœur de délivrance des chevaliers.
La distribution est dominée par la remarquable Alcina de Valda Wilson, aussi brillante dans les airs ornés que dans les airs expressifs, dressant au fil de ses sept arias chantés sans la moindre trace de fatigue, un portrait aux multiples facettes de cette héroïne ambigüe dont elle possède la noblesse et la stature. La Morgana de Liudmila Lokaichuk, voix légère à l’aigu ténu met un peu de temps à se chauffer mais elle atteint à sa pleine mesure dans son dernier air "Credete al mio dolore", d'une grande délicatesse. Si Mélissa Zgouridi (Ruggiero) impressionne par la richesse du timbre et la profondeur de ses graves, elle peine un peu à homogénéiser ses registres et semble parfois hors style dans une musique qui réclamerait plus de netteté et moins de volume. Judith Braun manque de couleur et de projection pour offrir tout le relief attendu à Bradamante. Au fil de ses trois airs, Artavazd Sargsyan (Oronte) dresse un portrait très convaincant de son personnage d’amant frustré, faisant preuve de beaucoup de facilité dans la vocalise. Bettina Maria Bauer (Oberto) apporte fraicheur et émotion à son personnage d'adolescent et la belle basse de Markus Jaursch, toute l'autorité voulue aux interventions de Melisso. Cette production de qualité prouve que la musique de Haendel n'est pas réservée aux seuls ensembles spécialisés et qu'un ensemble de chanteurs polyvalents, une troupe comme on dit, et d'excellents musiciens, en petite formation, même accordés à 440, peuvent lui rendre pleinement justice.
Alfred Caron
A lire : notre édition de Alcina / L'Avant-Scène Opéra n° 277
À gauche : compagnie iMove ; debout : Bettina Maria Bauer (Oberto) ; à droite : Liudmila Lokaichuk (Morgana) et Valda Wilson (Alcina)© Astrid Karger