Nazhmiddin Mavlyanov (Sadko), Aida Garifullina (Volkhova), Ekaterina Semenchuk (Lioubava Bouslaievna), Yuri Minenko (Néjata), Stanislav Trofimov (le Roi de la Mer), Mikhaïl Petrenko (Douda), Maxim Paster (Sopiel), Dmitry Ulianov (le Marchand viking), Alexey Nekludov (le Marchand hindou), Andrey Zhilikhovsky (le Marchand vénitien), Sergey Murzaev (l'Ancêtre sous l'apparence d'un preux), Roman Muravitsky (Foma Nazaritch), Vladimir Komovich (Louka Zinovitch). Orchestre et chœur du Bolchoï, dir. Timur Zangiev. Mise en scène : Dmitri Tcherniakov (février 2020).
Bel Air BAC488. (1 Blu-ray) Sous-titres en français. Distr. Outhere.
Neuf ans après un Rouslan et Ludmila qui avait suscité une certaine polémique, Dmitri Tcherniakov était de retour au Bolchoï en février 2020 avec ce brillantissime Sadko. Sans rien sacrifier à la dimension spectaculaire de l'œuvre, le metteur en scène s'interroge sur la condition de l'homme contemporain tout en évoquant un pan de l'histoire du théâtre russo-soviétique. Pour ce faire, il imagine que Sadko est un jeune homme déçu de son existence qui cherche à s'évader de son quotidien en se rendant dans un immense « Parc de réalisation des souhaits » où il pourra croire momentanément appartenir au passé légendaire de la Novgorod du XIIe siècle. D'abord complètement dépouillé, le plateau se pare successivement de toiles et de décors rutilants inspirés de cinq productions montées à Saint-Pétersbourg et Moscou entre 1901 et 1949, ainsi que du projet de décor que Nicolas Roerich avait conçu pour Covent Garden en 1920. Cette imagerie de contes d'enfants, à la fois naïve et touchante, est loin de se réduire à un simple hommage, puisque ces décors sont stylisés, transformés, voire déconstruits. Les projecteurs très visibles, la présence des techniciens qui déplacent les éléments scéniques et le côté kitsch parfaitement assumé des costumes nous rappellent que tout n'est ici qu'artifice et que Sadko est le grand ordonnateur d'un spectacle haut en couleur où lui-même, portant des vêtements modernes, distribue les rôles et règle le moindre détail. Ainsi, tout au long des airs des trois marchands, il déniche casque à cornes, longs colliers de perles ou riches étoffes chamarrées pour achever la métamorphose des trois interprètes en Viking, Hindou et Vénitien. À la fin, lorsque le héros a achevé son parcours, il refuse de s'arracher du monde des rêves et fait revenir dans un désordre savamment organisé des portions de décor appartenant à tous les tableaux de l'opéra. L'effet est alors absolument saisissant.
Tout aussi admirable sur le plan musical, la représentation permet de découvrir le jeune chef Timur Zangiev (né en 1994), étoile montante de la direction qui insuffle énergie et poésie à la partition de Rimski-Korsakov. Le frémissement de la mer, la suavité des duos d'amour Sadko-Volkhova, le déchaînement des éléments marins sont ici superbement mis en relief. Au soin apporté aux détails, Zangiev joint un extraordinaire sens dramatique qui sait habilement ménager ses effets, comme dans le superbe chant d'adieu des deux amoureux et dans le chœur final, qui atteint une puissance expressive peu commune. Très sollicités tout au long de la partition, les choristes sont remarquables, comme l'ensemble de la distribution. Dans le rôle écrasant de Sadko, le ténor Nazhmiddin Mavlyanov possède solidité, endurance et sensibilité, à défaut du timbre le plus séduisant. D'un naturel confondant, il forme un couple splendide avec la Volkhova enchanteresse d'Aida Gurifullina, qui avait ébloui le public parisien dans Snégourotchka (Bastille, 2017). De même que sa Fille des neiges, sa princesse cygne ravit aussi bien l'œil que l'oreille par sa grâce innée et son chant tout à la fois pur, élégiaque et particulièrement émouvant. Bien que reléguée au second plan, l'épouse délaissée Lioubava trouve en Ekaterina Semenchuk une interprète au fort tempérament et à la riche voix de mezzo. Après Ratmir (Rouslan et Ludmila) et Lel (Snégourotchka), le contre-ténor Yuri Minenko s'approprie avec le jeune gousliar Néjata un autre rôle conçu pour une voix féminine. Devant l'élégance du phrasé, il faut reconnaître que le choix est heureux, même si l'on regrette quelques notes aiguës données à l'arraché et surtout l'extrême grave émis en voix de poitrine et semblant appartenir à un baryton. Le Bolchoï a réuni trois marchands aux moyens impressionnants : Viking au grave abyssal de Dmitry Ulianov, Hindou ensorcelant d'Alexey Nekludov et Vénitien à l'entrain communicatif d'Andrey Zhilikhovsky. Parmi les autres rôles secondaires, on distingue le Roi de la mer autoritaire de Stanislav Trofimov et les deux bouffons impayables de Mikhaïl Petrenko et Maxim Paster. Pour découvrir ou approfondir avec bonheur un des grands titres du répertoire russe, cette captation d'un spectacle mémorable s'impose d'emblée avec évidence.
Louis Bilodeau