Auditorium de l'Opéra, Bordeaux. ©️ Pierre Planchenault / Opéra National de Bordeaux

Plus qu’une mise en espace, c’est une sorte de version « commentée » utilisant sous forme de projections les didascalies du livret et un texte de son crû que Luc Birraux a élaboré pour ce concert qui était, sauf erreur, la première apparition sur une scène française de Robert le Diable depuis la mémorable production de l’Opera de Paris en 1985. Si le procédé, ajouté au jeu des chanteurs, se révèle assez efficace pour aider le spectateur à se représenter l’action, le commentaire, quant à lui, ne parait pas toujours d’une absolue nécessité ni d’une totale pertinence. Il n’importe, sa touche humoristique, qui vise surtout l’improbable livret de Scribe, reste assez légère pour ne pas hypothéquer la réussite d’une exécution d’une exceptionnelle intensité. Elle redonne vie à une œuvre, certes assez inégale, mais dont on comprend ce qu’elle dut avoir de séminal pour l’opéra français après 1830 et ce que les générations suivantes sont aller y puiser. De cette remarquable réussite, il faut d’abord créditer Marc Minkowski qui donne toute son ampleur dramatique à une partition à l’orchestration fascinante en exaltant toute la richesse des coloris instrumentaux et l’originalité, quitte parfois à « taper » un peu fort en termes de volume et à couvrir le plateau dans les grands ensembles. Sa direction engagée en transcende certains aspects un peu composites, coq-à-l’âne ou platitudes que seule la représentation pourrait masquer, par une énergie à toute épreuve. À deux ellipses près, dans des scènes de transition au premier acte, le chef a choisi de donner l’œuvre dans son intégralité, se basant sur l’édition critique. Il révèle ainsi de nombreux développements coupés par la tradition, et intègre bien sûr la prière de Robert au deuxième acte, ajoutée par Meyerbeer à l’intention de Mario. Au rôle écrasant de Robert, John Osborn apporte une vaillance quasi inépuisable à un petit passage à vide près au troisième acte, dans la fameuse scène des Nonnes, mais également des nuances, un usage de la voix mixte subtilement dosé et une articulation française châtiée. Surtout ces moyens sont mis au service d’une authentique incarnation qui donne toute sa crédibilité a son personnage tourmenté et pusillanime. On reprochera à Nicolas Courjal une tendance à surjouer la désinvolture et à tirer Bertram du côté des diables d’opéra-comique. Faute sans doute d’un timbre assez sombre pour donner au personnage tout le mordant attendu, il parait souvent un peu extérieur au personnage mais il se rachète largement par la beauté de la voix dans les aspects plus lyriques du rôle. À un timbre somptueux et une belle longueur, Amina Edris associe une parfaite articulation et un phrasé d’une extraordinaire noblesse. Son Alice, tendre et palpitante, est un modèle de beau chant et d’expressivité. Lui répond la brillante Isabelle subtilement caractérisée d’Erin Morley, au Français parfait, d’une pureté absolue dans les coloratures aériennes de son air d’entrée et qui sort les larmes aux yeux de sa grande scène de supplication si originale du quatrième acte qu’elle interprète avec beaucoup d’intériorité. Du côté des rôles secondaires on aurait certes pu souhaiter un ténor un peu moins nasal et au français plus idiomatique que Nico Darmanin pour Raimbaut. Excellent en revanche le baryton de Joël Allison dans le double rôle d’Alberti et du Prêtre, de même que le chœur et les multiples coryphées placés a la tribune au dessus de l’orchestre. De discrets éclairages renforcent l’impact de la représentation qui s’achève sur un triomphe sans mélange. Montée « avec la complicité» du Palazzetto Bru-Zane, la série de représentations doit faire l’objet d’un enregistrement, où seront rétablies les menues coupures nécessaires à faire tenir l’œuvre dans les quatre heures trente d’une soirée fleuve, dont on sort définitivement convaincu de l’importance d’un opéra qui mérite à coup sûr la réputation que lui firent ses contemporains, et que cette production de haut niveau contribuera peut-être à réévaluer.

Alfred Caron

 
À lire : notre édition de Robert le Diable / L'Avant-Scène Opéra n° 76


John Osborn (Robert) et Erin Morley (Isabelle). ©️ Pierre Planchenault / Opéra National de Bordeaux