Charles Castronovo (Faust), Alain Altinoglu, Ildar Abdrazakov (Méphistophélès). © SF / Marco Borrelli

On se souvient de la production, alors iconoclaste, de la Fura dels Baus en 1999. Mais La Damnation de Faust à Salzbourg, ce furent aussi des concerts d’Ozawa et Boston en 1979, de Solti et Chicago en 1989. Alain Altinoglu vient de leur succéder. Alors que la mode est à un Berlioz analytique et décapé, il propose de la « légende dramatique » une lecture plutôt traditionnelle, très construite, aux tempos très équilibrés, au romantisme généreux mais plus sage que flamboyant, aux sonorités enveloppées, ce qui n’exclut nullement la finesse du détail. En pourrait-il être autrement avec la Philharmonie de Vienne ? On a rarement entendu de telles cordes dans la Danse des sylphes, aux couleurs d’une subtilité inouïe, ou dans la Course à l’abîme, où elles ont une beauté noire. Et comme les bois du Menuet des follets pépient ou fusent ! Un Berlioz plastiquement superbe.
Charles Castronovo chante un Faust à l’aigu aisé – avec une très belle voix de tête dans « Merci, doux crépuscule » et le duo – et au médium charnu : la tessiture assez centrale qu’il faut pour le vieux savant rajeuni, distribué parfois à des voix trop légères et à la peine dans l’Invocation à la nature. Les mots s’insèrent dans une ligne élégamment galbée, témoignant d’une intimité avec le répertoire français. On regrettera seulement une interprétation un peu distanciée, comme si le héros de Goethe restait la proie, quoi qu’il arrive, d’une irrépressible mélancolie.
Ce répertoire n’a pas davantage de secrets pour Elina Garanca, Marguerite d’anthologie, ni trop grave ni trop aigue, ni trop lourde ni trop légère, voix au zénith de sa splendeur et phrasé de grande, qui a la jeunesse frémissante du personnage, d’une Chanson gothique rêveuse à une Romance embrasée.
C’est cette adéquation avec un style qui fait totalement défaut au diable d’Ildar Abdrazakov. Une voix et une présence, certes, mais, dans le rôle le plus syllabique de la partition, où le mot doit mordre et claquer, il échoue à trouver une ligne, surtout quand le tempo est vif : si l’air des roses passe mieux, la Chanson de la puce et la Sérénade, où il faut être très délié, en font les tristes frais. Les clés de fa capables d’assumer l’emploi ne manquent pourtant pas sur le marché. La question se pose aussi parfois, à un degré bien moindre, avec le magnifique chœur de l’Opéra de Vienne, en particulier dans la Ronde des paysans – alors que le Chœur des soldats en impose.

Didier van Moere

 
À lire : notre édition de La Damnation de Faust : Avant-Scène Opéra n°22

 
Alain Altinoglu © SF / Marco Borrelli