CD Challenge Records C72591. Distr. NewArts Int.
Märchenoper ? Tout porte à croire que Schreker illustra avec son cinquième ouvrage lyrique cette longue tradition de l'opéra allemand qui était quelque peu tombée en désuétude malgré le succès constant du Hänsel und Gretel (1893) de Humperdinck. Märchenoper oui, mais sans le refuge dans l'enfance. Car Der Schatzgräber (1918) est une fois encore le récit de la quête d'un idéal alors même que l'univers de Schreker venait de s'effondrer dans le désastre de la Première Guerre Mondiale. Quête d'un idéal troublé par les désirs érotiques et soumis à la toute-puissance de l'amour, contrarié par la cruauté d'un monde archaïque. Schreker en eut l'idée en écoutant une jeune femme jouant du luth. Son imagination fertile en déduisit un conte où un chanteur ambulant devra retrouver, au péril de sa vie, les bijoux de la Reine et renoncer à son amour pour Els dont il accompagnera l'agonie d'un ultime chant.
Plus que Les Stigmatisés ou Le Son lointain, Le Chercheur de trésor est pétri de wagnérisme, même si celui-ci est entendu au travers du prisme des Königskinder (1910) de Humperdinck - les livrets des deux ouvrages montrent quelques analogies. Son orchestre immense, « surchromatique », a vite fait d'être un personnage à part entière. Marc Albrecht le dompte sans affadir sa luxuriance, et le tire plus vers la Seconde Ecole de Vienne que vers Wagner ou Puccini, à la fois décor somptueux et acteur du drame. L'œuvre prend alors un visage bien plus moderne que celui dévoilé jadis par Gerd Albrecht qui l'alourdissait jusqu'à le rendre opaque et dont la distribution était dépareillée par l'Els hurleuse de Gabriele Schnaut (Capriccio). Manuela Uhl lui rend sa poésie, tout en ayant les grands moyens vocaux qu'exige l'écriture tendue d'un rôle sans concession. Et Raymond Very campe un Elis entre lumière et doute, personnage saisissant aussi bien dans l'introspection que dans l'extase lyrique. Formidable Bouffon selon Graham Clark qui transforme ce personnage souvent poussé à la caricature, lui donne une dimension supplémentaire et le rapproche du Nain que Zemlinsky composait à la même époque. Toute la troupe brille, somptueusement captée, et l'on prend la mesure d'un ouvrage qui peut enfin faire jeu égal avec les deux autres chefs-d'œuvre lyriques de leur auteur. Disque-livre particulièrement soigné comme pour toute cette série éditée en collaboration avec l'Opéra des Pays-Bas : les photographies de la production d'Ivo van Hove font regretter l'absence d'un DVD.
J.-C.H.