Colin Balzer (Demofoonte), Sylvia Schwartz (Dircea), Ann Hallenberg (Creusa), Aryeh Nussbaum Cohen (Timante), Romina Basso (Cherinto), Vittorio Prato (Matusio), Nerea Berraondo (Adrasto), Il Complesso barocco, dir. Alan Curtis.
Brilliant classics 95283 (3 CD). 2014. 3h12. Notice en anglais. Distr. DistrArt Musique.
Le roi de Thrace Demofoonte fait arrêter son fils Timante parce qu’il s’est épris d’une vassale, Dircea, qui, pour sa part, est condamnée à mort. Depuis sa prison, Timante apprend alors que Dircea, qu’il a secrètement épousée et rendue mère, est peut-être sa sœur… A Àceux qui continueraient à croire que les pièces de Métastase ne sont que de polis badinages, le sujet de Demofoonte (1733), frôlant l’inceste et l’infanticide, offre un cinglant démenti. Les contemporains se passionnèrent pour la pièce, qui compte parmi les plus souvent mises en musique de son auteur (près de 60 fois) - Mozart lui-même en tirera cinq scènes de concert. Gluck la choisit (ou se la voit imposer) pour son troisième ouvrage lyrique : son Demofoonte est créé à Milan en 1743, avant d’être plusieurs fois repris et amendé. Il nous a été transmis par diverses sources dont une, conservée à la BNF, complète, à l’exception des récitatifs. Qu’à cela ne tienne : l’intrépide chercheur qu’était Alan Curtis les a composés de sa main, selon d’autres modèles gluckistes. Le résultat paraît tout à fait probant et l’ouvrage tient debout – en dépit des défauts propres à son auteur comme à ses interprètes. Gluck ne parvint jamais totalement à convaincre, dans l’univers codé de l’opéra séria : son âpre écriture vocale, ses accompagnements puissants sont bien adaptés aux « arie parlante » (dans lesquelles l’action se poursuit), moins aux airs métaphoriques et de bravoure. Comme Curtis était lui-même un chef assez fruste, à l’image, de son Complesso barocco, aux cordes et cors plus rugueux que sensibles, il réussit lui-même ce que réussissait Gluck - « T’intendo, ingrata » de Cherinto, ou « Padre, perdona » et « Che mai risponderti » de Dircea - mais ennuie souvent ailleurs. La distribution qu’il a réunie, d’assez bon niveau, est dominée par le ténor grave, à la fois suave et autoritaire, de Balzer. Le baryton Prato convainc sans difficulté dans le rôle assez terne du père de Dircea tandis qu’Hallenberg, toujours excellente musicienne, se sort des pièges pyrotechniques de Creusa, dont elle ne possède cependant pas la personnalité éruptive. Schwartz et Basso inquiètent dans les récits, l’une à cause d’un timbre nasillard, l’autre à cause des affreux soufflets et portamenti dont elle persiste à les parsemer – mais toutes deux se métamorphosent dans les airs, troussés avec panache. Reste un gros point noir : l’évanescent contre-ténor Nussbaum Cohen, au grave totalement inexistant, qui transforme en caricatures les grandes scènes composées pour le légendaire Carestini. Nonobstant ces réserves, une découverte qui devrait intéresser les admirateurs du jeune Gluck.
Olivier Rouvière