Christopher Purves (Falstaff). Photo Jean-Louis Fernandez/Festival d'Aix-en-Provence.
Ogre sophistiqué plus que vulgaire, le Falstaff de Barrie Kosky est un viveur de grand chemin. Ainsi dès le lever de rideau, Christopher Purves apparaît au milieu de tablées dignes de certains tableaux de la peinture flamande du XVIIe siècle : profusion de produits de choix qui n’attendent que d’être manipulés par le seigneur du lieu pour se muer en gourmandises. La thématique culinaire sert de fil conducteur tout au long de la représentation, en scandant chaque changement de décor par la lecture – un peu coquine – de recettes fabuleuses.
Kosky propose une lecture sous le signe de cet appétit vital qui anime le personnage. Le metteur en scène australien sait ainsi maintenir notre appétit en permanence entre satisfaction et insatiable gourmandise. Le spectacle est rythmé d’une multitude de gags qui tombent toujours justes avec le livret et la musique. Placée dans les années 50/60, la mise en scène en retient surtout les couleurs et la passion anglaise pour les improbables gâteaux à la crème, au milieu desquels Alice tend son piège à Falstaff. On est ébouriffé par la mécanique qui régit avec perfection chaque mouvement, à la fois individuellement, quand Bardolfo et Pistola son secoués de mouvements frénétiques – tétanisés par la colère de leur maître, et collectivement pour articuler la scène du panier à linge par exemple.
Au milieu de cette allègre agitation, Falstaff dévore la vie avec délices, mais sa faim de plaisir est générosité. Il est prodigue de sa personne, en danses, en amour et même en couleurs lorsqu’il apparaît dans un costume aux motifs vert qui semble découpé dans la tapisserie du décor ! Le baryton britannique Christopher Purves en est l’interprète rêvé. Grâce à lui chaque gag fait mouche, il saute, il court et se déhanche sans jamais lasser ni agacer. Généreux, Purves l’est aussi avec sa voix large quoiqu’un peu voilée. Il la manipule en tous sens pour parfaire son interprétation hilarante. Murmuré, grogné, susurré, déclamé ... le texte fait l’objet d’une attention constante pour des effets toujours réussis. Il compense ainsi un timbre que l’on souhaiterait plus opulent. Au contraire, Stéphane Degout offre un superbe métal au personnage de Ford. Sa voix est une belle étoffe dans laquelle il taille sur-mesure le costume du mari jaloux se croyant plus fin que tout le monde. Impayable dans son habit d’acteur d’Hollywood des années 30 pour incarner Fontana, Stéphane Degout joue la comédie aussi bien qu’il chante. Pendant la représentation on se prend à rêver aux rôles qu’il va pouvoir aborder (sans doute plus dans le répertoire bel cantiste que dans les grands rôles verdiens). Sa compagne incarnée par Carmen Giannattasio est alerte, mais force un peu le trait (on croit parfois entendre Desdémone plus qu’une joyeuse commère de Windsor) sans mettre en valeur une voix pourtant belle. Daniela Barcellona joue Mrs. Quickly avec un abattage drolatique mais la voix manque de couleur, particulièrement dans le grave. Pareillement la Meg Page d’Antoinette Dennefeld se fond à merveille dans la comédie mais fait preuve d'un chant (au demeurant joli) en retenue. Enfin, le duo des jeunes amoureux est bien appareillé, le beau soprano de Giulia Semenzato donne tout ce qu’on peut attendre du rôle à la fois tendre et mutin, et le Fenton de Juan Francisco Gatell convainc tant par la maîtrise de la ligne que par son implication scénique. Le Cajus de Gregory Bonfatti, le Bardolfo de Rodolphe Briand et le Pistola d’Antonio di Matteo, tirent leur épingle du jeu en répondant à la perfection dans les exigences scéniques de la mise en scène.
En fosse, Daniele Rustioni s’est mis au métronome de Barrie Kosky : lecture enlevée, qui dévore avec gourmandise la partition. Le chef et l’orchestre réalisent un beau travail théâtral qui convainc sans soulever l’enthousiasme. La soirée peut d’ailleurs se résumer ainsi, si la mise en scène millimétrée de Barrie Kosky est une incontestable réussite et fonctionne grâce à des interprètes de talent, on demeure un peu sur notre faim musicalement.
Jules Cavalié
A lire : notre édition de Falstaff / L'Avant-Scène Opéra n°87/88
Christopher Purves (Falstaff) et Carmen Giannattasio (Mrs. Alice Ford). Photos Jean-Louis Fernandez/Festival d'Aix-en-Provence.