Yusif Eyvazov (Andrea Chénier), Anna Netrebko (Maddalena de Coigny), Luca Salsi (Carlo Gérard), Annalisa Stroppa (Bersi), Mariana Pentcheva (La comtesse de Coigny). Orchestre et chœurs Teatro alla Scala, Riccardo Chailly. Mise en scène : Mario Martone ; chorégraphie : Daniela Schiavone ; décors : Margherita Palli ; costumes : Ursula Patzak ; lumières : Pasquale Mari. Réalisation : Patrizia Carmine. Enregistré sur le vif Scala de Milan 2017.
CD C Major 757308. Distr. DistrArt Musique. Notice et synopsis anglais, allemand, français.
Un 7 décembre, date fétiche, la Scala présente l’une de ses œuvres-phares, sous la baguette d’un chef-maison tout aussi emblématique. Rien de révolutionnaire au demeurant dans cette production d’un Mario Martone ici étonnamment sage et conservateur, si l’on ose ainsi le qualifier à propos de la mise en scène d’un épisode de la Terreur. Perruques poudrées, ballet en blanc, miroirs et boiseries, respirent un 18è siècle bientôt pris à la gorge par le déchaînement de violence et de cruauté des heures révolutionnaires. La jubilation d’un porteur de drapeau tricolore et la guillotine vers laquelle le couple formé par le poète sacrifié et son amante est comme aimanté, tout ensuite symbolise le tragique de ce séisme. Direction d’acteurs et imagerie d’époque sont au diapason d’un spectacle qui pour le meilleur et le moins bon échappe à la mode des relectures et transpositions oiseuses. En direttore doublé d’un concertatore rompu à ce répertoire, Chailly fouette sa monture sans négliger d’accompagner, à tous les sens du mot, des chanteurs et des chœurs que son orchestre contrepointe avec souffle et vigilance. Premier à faire entendre sous la livrée du majordome le mépris de classe qui l’anime, Luca Salsi, banalise ledit mépris par une certaine rusticité de l’accent, ce qui lui valait sans doute à la scène un ascendant alors que la prise de son surexpose le parlando et les expédients vocaux. Autour on remarquera une Contessa trémulante, Maria Pentcheva, une Bersi, Annalisa Stroppa, plus exacerbée que nature, des seconds rôles masculins estimables, au premier chef Carlo Bosi en Incroyable, avant de verser un pleur sur l’étreignante composition de Judit Kutasi en vecchia Madelon. Une fois encore force est de constater que la prima donna de la soirée éclipse quant à elle très largement le ténor censé partager ses élans amoureux et son succès public. Anna Netrebko sait pouvoir compter sur le velours de son medium et la puissance de ses élans face aux assauts de Gérard avant de lisser le phrasé de sa Mamma morta. Un bel instrument à vent, peu attentif à la clarté des mots que le vérisme cultive plus que d’autres écoles, mais d’une indéniable morbidezza. Yusif Eyvazov, son époux à la ville, a beau avoir suivi un temps les masterclasses de Franco Corelli, il ne gagne rien à succéder à celui-ci en Andrea, un rôle que son aîné a durablement marqué de son empreinte. Sans même chercher à esquisser un vain parallèle entre les deux interprètes, il faut bien reconnaître que le manque de conviction scénique et de malléabilité vocale du cadet, engoncé dans une émission monocorde, vainement claironnante et à court de smorzando soutenu, rend cruelle toute comparaison avec son modèle.
Chénier étant un opéra de ténor, le présent DVD, non dépourvu d’attraits, est en vérité frustrant.
Jean Cabourg