José Cura (Otello), Krassimira Stoyanova (Desdemona), Lado Ataneli (Iago), Vittorio Grigolo (Cassio), Ketevan Kemoklidze (Emilia), Vicenç Esteve Madrid (Rodrigo), Giorgio Giuseppini (Lodovico), Francisco Santiago (Montano), Roberto Accurso (Un Araldo). Orchestre symphonique et chœur du Gran Teatro del Liceu Barcelone, dir Antoni Ros-Marbà ; Mise en scène Willy Decker, décors et costumes John Macfarlane, Lumières David Finne.
Opus Arte OA 0 963 D ( 2 DVD ). Distr. DistrArt. (Barcelone 2006). Notice anglais, français, allemand, espagnol.
La mise en scène de Willy Decker, maintes fois reprise en Europe et jusqu’au Colon de Buenos Aires, est à la fois économe en son minimalisme décoratif et efficace par la simplicité du message dramaturgique qu’elle délivre. Celui d’un huis clos sartrien enserrant les protagonistes dont les actes seuls expriment l’être intime. Une croix de bois blanc, dupliquée de scène en scène ad nauseum, tantôt pieusement révérée, tantôt brisée sous l’emprise du mal, se veut emblématique de l’innocence féminine, versus la démence du mâle. Shakespeare et Boito se voient transposés en une manière de lutte à mort entre le Diable et le Bon Dieu (sic). À l’acmé de cette lutte, un miroir tenant lieu de cyclorama offre au couple maudit une mise en abyme de leur tragique affrontement, dans laquelle ils peuvent contempler les ravages de l’amour dénaturé par la haine et la démence. Les éclairages de David Finne et les costumes aveuglants de blancheur des chœurs, contrastant avec l’oppression du rougeoiement ou de la noirceur récurrente, constituent le meilleur de cette épure théâtrale. À charge pour les interprètes de transcender cette symbolique visuelle un rien sommaire par leurs seuls atouts expressifs, en l’absence d’une direction d’acteurs vraiment signifiante. Dès son Esultate bramé et faux, dont le si aigu est plus escamoté que jamais, José Cura inquiète, hélas à juste titre, et ses premiers récitatifs tout autant par leur rusticité. Les premières paroles de l’anthologique duo d’amour Gia nella notte, d’intonation douteuse, trahissent un coupable relâchement du phrasé, que seule l’irradiante Krassimira Stoyanova, Desdémone de rêve aux appas vocaux irrésistibles parviendra à ramener vers une relative correction. Il faudra attendre ensuite la confidence douloureuse d’un Dio mi potevi, assagi par la mezza voce et la concentration du timbre comme de la métrique qu’appellent les scènes finales, pour que le pathos vocal et les éructations se tempèrent de nuances mieux venues. Le reste relève d’un expressionnisme plus ou moins étreignant, selon les goûts ! Plus en règle avec le chant verdien, à quelques écarts près, le Iago de Lado Ataneli, tient son rang de manipulateur satanique, sans marquer les esprits mais en bon professionnel. Tous, y compris le Cassio vif argent de Vittorio Grigolo, sont éclipsés par cette Desdémone que la Stoyanova fait palpiter d’acte en acte de manière absolument admirable. Par la seule vertu d’un timbre lumineux et égal sur toute sa tessiture, d’un sostenuto porteur, de la première réplique jusqu’ à sa prière et à l’exhalaison ultime, cette surdouée fait rayonner l’âme de son héroïne. Sans artifice, celle-ci s’affranchit du soupçon de mièvrerie qu’on lui associe trop souvent. Avec un orchestre et des chœurs menés avec empathie et précision par le remarquable Antoni Ros-Marbà, face à un plateau inégal, la chanteuse bulgare mérite les trois cœurs que les défaillances de Cura ne parviennent pas à compromettre.
Jean Cabourg