Anna Denis (Semele), Richard Burkhard (Jupiter), Helen Charlston (Juno), Aoife Miskelly (Ino), William Wallace (Athamas), Jonathan Brown (Cadmus), Héloïse Bernard (Iris), Bethany Horak-Hallett (Cupid), Christopher Foster (Somnus), Jolyon Loy (Apollo), Academy of ancient Music, dir. Julian Perkins.
AAM 012 (2 CD). 2h03'. 2019. Notice en anglais. Distr. AAM.
Au début du XVIIIe siècle, l’opéra (entièrement chanté en) anglais n’existe pas encore, les Britanniques lui préférant le mask, intermède musical inséré dans une pièce déclamée, genre dans lequel Purcell a excellé. Le dramaturge William Congreve ambitionne, lui, de poser les fondations d’un véritable opéra national et, dans ce but, suscite la création du Théâtre de Haymarket, en 1705. L’année suivante, il rédige sa délicieuse Semele (lointainement inspirée de la Psyché de Molière et Corneille), dont la mise en musique est confiée au compositeur du roi, John Eccles (1668-1735). Hélas, entretemps, un théâtre rival, le Drury Lane, obtient l’exclusivité des spectacles en langue anglaise - et Semele tombe aux oubliettes sans voir les feux de la rampe ! En 1711, c’est un Allemand, un certain Haendel, qui s’empare du Haymarket pour y faire triompher l’opéra… italien. Enfin, en 1743, le même Haendel tire du drame de Congreve un soi-disant oratorio – sa propre Semele, aujourd’hui bien connue des mélomanes. Ils compareront avec amusement les morceaux de Haendel avec ceux écrits par Eccles sur un texte resté presque inchangé, l’influence de Eccles sur Haendel apparaissant évidente lors de la scène du serment, à l’acte III (dans les deux cas, le monologue de Jupiter « Ah, whither is she gone ! » prend les formes d’un récitatif avec refrain). Puisant à la fois aux esthétiques italienne (alternance de récits et d’airs, avec ou sans da capo) et française, la séduisante partition de Eccles, seulement orchestrée pour cordes et basse continue, n’en dégage pas moins un incontestable parfum britannique dans ses mélodies et certains ensembles (trios de l’acte I, divin duo a cappella de Junon et Iris au III). Julian Perkins et les maîtres d’œuvre de cette réalisation l’ont habilement complétée par quelques belles sinfonie extraites d’autres ouvrages – sans parvenir à lui insuffler le souffle qui lui fait défaut. Si les sonorités de l’Academy of ancient Music sont toujours délicieuses (le premier violon Bojan Čičić s’en donnant à cœur joie dans de nombreux soli), la lecture, appliquée, scolaire, sent davantage la poussière des bibliothèques que celle des planches : peut-on débiter plus platement le récit de l’enlèvement de Sémélé ou celui de sa mort ? En outre, les membres de la Cambridge Handel Opera Company ne donnent pas une image très flatteuse de l’école de chant anglaise : Sémélé à l’émission pharyngée, Jupiter (baryton) solide mais sans classe, Junon fort aigre, Iris droite et blanche (dommage : ses airs sont ravissants !), fades Cadmus et Somnus… Les seules émotions lyriques nous sont délivrées par la soprano Aoife Miskelly, la mezzo Bethany Horak-Hallett et le ténor haut-perché de William Wallace. Ajoutons que si le luxueux coffret offre moult essais plus ou moins pertinents (dont un de Stephen Fry), il apparaît incommode et strictement réservé aux anglophones. Le précédent enregistrement intégral (celui d’Anthony Rooley, chez Forum, 2004) n’étant guère plus probant, la Semele d’Eccles attend toujours son prince charmant…
Olivier Rouvière