Juan Francisco Gatell (Orfeo), Emiliano Gonzales Toro (Apolline, Ireno), Magdalena Pluta (Calliope, Euretti), Renato Dolcini (Fileno, Fato), Kacper Szelążek (Mercurio, Bacco), Salvo Vitale (Caronte, Furore), Alexander Miminoshvili (Giove, Ebro), Cecila Molinari (Euridice, Lincastro, Nisa, Teti), Gaia Petrone (Aurora, Fosforo), Les Talents Lyriques, dir. Christophe Rousset, mise en scène : Pierre Audi ( Muziekgebouw Amsterdam, 23 et 26 Mars 2018).
Naxos 2.110661 (1 DVD). Distr. Outhere.
Orfeo quasi sans Eurydice, le poème de Poliziano se consacre au destin de l’aède confronté aux ménades plutôt qu’à sa passion pour son épouse en cinq actes assez brefs où fleurissent un style madrigalesque virtuose et une écriture ornée pour le grand air du poète qui ouvre l’acte II. La partition de Landi se fait malgré elle l’écho du chef d’œuvre de Monteverdi antérieur de douze ans. Il se murmure que, tout Romain qu’il fut, de naissance, d’éducation et de métier, Landi destinait son premier opéra à Venise, et fut d’ailleurs créé dans les environs de la Sérénissime. On est loin de l’opéra des cardinaux que sera douze ans plus tard Il Sant’Alessio, avec sa théorie de rôles écrits pour les castrats du Pape, et pas si loin du théâtre souvent surprenant de Francesco Cavalli.
En dorant son petit ensemble de timbres poétiques, Christophe Rousset tente ce rapprochement, le sens dramatique souvent émouvant de Landi, son goût des surprises harmoniques, la rapidité avec laquelle s’enchaînent les interventions des Dieux et les chœurs des bacchantes, des bergers et des nymphes, faisant le reste. Cette lecture vénitienne donne aux cinq actes une dimension dramatique qui manquait jusque-là aux deux versions discographiques : ni Stephen Stubbs, en restant au madrigal, pas plus François Lasserre, scrupuleux et attentiste malgré l’Orfeo émouvant de Cyril Auvity n’ont osé faire entrer le théâtre qu’on entend ici, et qu’on voit surtout.
Pierre Audi a choisi pour son ultime spectacle en tant que directeur de l’Opéra des Pays-Bas cet Orfeo, transportant le poète loin du mythe et même du XVIIème siècle du compositeur, Juan Francisco Gatell, aussi virtuose qu’émouvant, campant ce séducteur revenu de tout avec un brin d’amertume. Tout repose sur une direction d’acteur subtile, traitant à égalité Dieux et mortels, et les deux petites heures passent trop vite tant le geste s’allie avec la musique. Sommet de l’œuvre, et coup de génie de Landi, la vaste scène où Fileno annonce à Calliope la mort de son fils. Soudain on se trouve confronté à cet art de suspendre le temps qui sera le ressort du Sant’ Alessio. La compagnie de chant est finement appariée, avec quelques incarnations saisissantes : l’Apollon d’Emiliano Gonzales Toro, le Fileno de Renato Dolci, le Mercure de Kacper Szelążek , le Caronte de Salvo Vitale. Les flutes, les violons, le luth peuvent envoler le poète au firmament dans leurs dorures stellaires, ce jalon majeur de la naissance de l’Opéra nous est enfin révélé dans toute sa poésie.
Jean-Charles Hoffelé