Mathias Vidal (Tamino), Florie Valiquette (Pamina), Marc Scoffoni (Papageno), Lisa Mostin (la Reine de la Nuit), Tomislav Lavoie (Sarastro), Pauline Feracci (Papagena), Olivier Trommenschlager (Monostatos), Suzanne Jérôme (Première Dame), Marie Gautrot (Deuxième Dame), Mélodie Ruvio (Troisième Dame), Matthieu Lécroart (L'Orateur), Matthieu Chapuis (Premier Prêtre/Homme en armure), Jean-Christophe Lanièce (Deuxième Prêtre/Homme en armure). Le Concert Spirituel, dir. Hervé Niquet. Mise en scène : Cécile Roussat et Julien Lubek. (Opéra Royal de Versailles, janvier 2020).
Château de Versailles Spectacles CVS030 (2 CD + DVD + Blu-ray). Présentation et sous-titres français, anglais et allemand. Distr. Outhere.
D'abord créée à l'Opéra Royal de Wallonie en 2010 (avec Michael Spyres en Tamino), cette production de La Flûte enchantée a fait l'objet de nombreuses reprises, aussi bien à Liège qu'à Bergame, Crémone ou Pavie. En décembre 2019, le spectacle était donné en français à l'Opéra Grand Avignon, puis le mois suivant à Versailles, où il a fait l'objet de la présente captation. Très abrégés, les dialogues sont ceux de L'Avant-Scène Opéra dans la version de Françoise Ferlan, tandis que le texte chanté provient de la traduction de Louis Durdilly (1848-1929) que l'on retrouve dans l'édition Choudens de 1897. Si Durdilly a réalisé un travail globalement satisfaisant, le mélomane habitué à l'original allemand sera certes un peu déstabilisé d'entendre Tamino entonner « Ô douce et charmante inconnue » plutôt que « Dies Bildnis ist bezaubernd schön », ou Pamina proclamer non pas « Die Wahrheit ! Sei sie auch Verbrechen », mais un bien terne « Prends garde. Ah ! crains tout mensonge ». Cela dit, ces écarts par rapport au texte de Schikaneder s'avèrent relativement négligeables, eu égard au public familial auquel, de toute évidence, cette Flûte enchantée s'adresse en premier lieu.
Car les metteurs en scène Cécile Roussat et Julien Lubek ont conçu un merveilleux conte dans lequel on se surprend parfois à se croire dans un univers comparable à celui de L'Enfant et les sortilèges : dans la chambre du jeune Tamino qui s'endort pendant l'ouverture après avoir lu quelques pages de son livre, tous les objets s'animent grâce à six acrobates très présents tout au long de la représentation. Papageno émerge du lit, la Reine de la Nuit apparaît dans un cadre, les trois garçons se cachent dans la penderie, Pamina se révèle être la poupée de Tamino... Le deuxième acte se déroule dans une bibliothèque où d'énormes volumes sans cesse en mouvement composent l'essentiel du décor. Réjouissante, colorée et bon enfant, cette mise en scène ravit l'œil et nous tient constamment en éveil, mais réduit considérablement les dimensions symbolique et spirituelle de l'ouvrage. À cet égard, le parcours initiatique est ici bien léger et l'on aurait pu s'attendre à des épreuves du feu et de l'eau autrement plus impressionnantes que celles suggérées par un petit théâtre d'ombres chinoises. En accord avec cette vision lénifiante, tous les personnages se réunissent joyeusement au dénouement auprès du jeune Tamino endormi : son père (Sarastro), sa mère (la Reine de la Nuit) et les autres membres de son entourage qui ont incarné les principaux personnages de l'histoire.
De même que la mise en scène privilégie les aspects relevant du Märchenoper (« opéra conte de fées »), la direction étincelante d'Hervé Niquet se veut extrêmement dynamique, au risque de négliger l'introspection. En ce sens, le premier acte lui convient nettement mieux que le second, car les rythmes trop rapides ne permettent pas aux grandes phrases mélodiques de Pamina, de Sarastro et du chœur de se déployer jusqu'à leur plein épanouissement. On regrette également que le chœur, relégué en coulisse, ne puisse conférer plus d'impact aux magnifiques pages que Mozart lui destine.
Entièrement francophone, la superbe distribution met en vedette un couple fort bien apparié. Le Tamino de Mathias Vidal nous ravit par de magnifiques demi-teintes et une belle vaillance, tandis que Florie Valiquette est une Pamina délicieuse, au chant raffiné et au caractère bien trempé. Idéal de bonhomie et de plaisir vocal en Papageno, Marc Scoffino trouve en Pauline Feracci une Papagena du plus joli ramage. Manquant un peu d'assurance au début de son premier air, Lisa Mostin se distingue par la précision de ses vocalises en Reine de la Nuit. Tomislav Lavoie campe un Sarastro d'une grande dignité, auquel on souhaiterait peut-être un timbre plus opulent. Transformé ici en ramoneur – ce qui explique la couleur foncée de son visage... –, Monostatos bénéficie de l'abattage scénique d'Olivier Trommenschlager. Outre les excellentes dames de la Reine de la Nuit et les trois interprètes féminines des trois enfants (auxquelles nous aurions néanmoins préféré de jeunes chanteurs), on remarque en particulier l'Orateur à la voix chaude et au style élégant de Matthieu Lécroart. Pour toutes ces qualités, et même si elle ne cherche pas à approfondir le sens de l'œuvre, cette production saura ravir un large public.
Louis Bilodeau