Mozart et Salieri : Evgueni Nesterenko (Salieri), Alexandre Fedin (Mozart), Orchestre du Bolchoï, dir. Mark Ermler (1986).
La Boïarine Véra Chéloga : Tamara Milachkina (Véra Chéloga), Olga Teruchnova (Nadejda Nassonova), Nina Grigorieva (Vlassievna), Vladimir Karimov (le boïar Ivan Chéloga/le prince Yuri Tokmakov), Orchestre du Bolchoï, dir. Mark Ermler (1985).
Melodiya MEL CD 10 02344. Distr. Outhere. Présentation en anglais et en russe. Pas de livret.
Ce disque réunit deux courts ouvrages que Rimski-Korsakov fit créer par la troupe de l'Opéra privé de Moscou (théâtre Solodovnikov) à trois semaines d'intervalle, en novembre et décembre 1898. Reprenant textuellement la pièce de Pouchkine, le premier opéra montre comment la jalousie maladive de Salieri l'amène à empoisonner Mozart, thème que l'Anglais Peter Shaffer développera avec le succès que l'on sait dans la pièce Amadeus (1979). En Salieri, le jeune Fédor Chaliapine de vingt-cinq ans, qui allait bientôt interpréter pour la première fois de sa carrière Boris Godounov, imprimait durablement sa marque sur un rôle qu'il appréciait beaucoup et dont il enregistra trois larges extraits en 1927. Parmi ses successeurs, Alexandre Pirogov (Samossoud, 1947), Mark Reizen (Samossoud, 1951), Boris Gmyria (Grikourov, 1963) et Theo Adam (Janowski, 1980, en allemand) ont immortalisé des incarnations saisissantes de l'artiste torturé par le démon de l'envie. En 1986, c'était au tour d'Evgueni Nesterenko de confier aux micros son Salieri au superbe timbre de bronze. S'il ne plonge peut-être pas tout à fait dans les mêmes abysses que l'exceptionnel Gmyria dans la version dirigée par Édouard Grikourov, il campe néanmoins un être assailli par de profonds questionnements existentiels. Alexandre Fedin est un Mozart léger à souhait et donc parfaitement en situation, qui ne saurait toutefois faire oublier le merveilleux Sergueï Lemechev dans l'enregistrement de Samossoud (1947). Sous la direction souple mais jamais transcendante de Mark Ermler, l'orchestre du Bolchoï se coule bien dans le style que Rimski-Korsakov a lui-même appelé « récitatif-arioso » et qui s'inspire de celui du Convive de Pierre (1872) de Dargomyjski.
La Boïarine Véra Chéloga est l'adaptation du premier acte du drame La Pskovitaine de Léon Mey dont les quatre derniers actes avaient déjà été utilisés par Rimski-Korsakov pour l'opéra du même nom dont il avait fait créer la version définitive en 1895. Conçu comme un prologue pouvant être joué avant La Pskovitaine, La Boïarine Véra Chéloga raconte comment Véra a été séduite par le tsar Ivan le Terrible pendant l'absence de son mari, le boïar Ivan Chéloga. Au retour de ce dernier, Nadejda sauve l'honneur de sa sœur en déclarant être la mère de la petite Olga, enfant illégitime du tsar. De la partition, on retient surtout une très belle ouverture et la touchante berceuse, empruntée aux Quatre Romances (op. 2), qui contrastent avec un discours musical manquant quelque peu de relief. Cette version de 1985 donne la vedette à Tamara Milachkina (épouse du ténor Vladimir Atlantov), qui sait très bien traduire l'angoisse de la jeune femme redoutant la colère de son époux. Si elle ne possède pas toute l'onctuosité de Sofia Panova (Sakharov, 1947) ou de Stefka Evstatieva (Angelov, 1980), elle est si bien habitée par le drame qu'elle fait aisément pardonner ses duretés dans l'aigu. Plus que la tendre Nadejda d'Olga Teruchnova, la somptueuse nourrice Vlassievna de Nina Grigorieva retient l'attention par la richesse de son timbre de contralto. Vladimir Karimov s'acquitte plus qu'honorablement des quelques répliques qui lui sont départies. Dans la fosse, Mark Ermler possède plus de tonus que ses prédécesseurs Sakharov et Angelov et confère une réelle intensité dramatique à un ouvrage mineur mais non dépourvu d'intérêt.
Louis Bilodeau