Airs extraits de Roméo et Juliette (Gounod), Manon (Massenet), Le Pardon de Ploërmel (Meyerbeer), Hamlet (Thomas), Lakmé (Delibes), Les Contes d’Hoffmann et Orphée aux enfers (Offenbach), L’Enfant et les sortilèges (Ravel), La Sonnambula, I Puritani et I Capuleti e i Montecchi (Bellini), La Traviata et Rigoletto (Verdi), Lucia di Lammermoor (Donizetti), Die Zauberflöte et Die Entführung aus dem Serail (Mozart), Giulio Cesare et Alcina (Haendel), Der Rosenkavalier et Ariadne auf Naxos (R. Strauss), Le Rossignol (Stravinsky) et Candide (Bernstein).
Erato 0190295057787 (3 CD). Distr. Warner Music
Quelques années après le retrait de Natalie Dessay des scènes opératiques –pour se consacrer désormais au théâtre et à d’autres genres musicaux, qu’ils soient classiques ou pas –, le temps était venu d’une rétrospective permettant de prendre la mesure d’une voix et d’une carrière hors normes. Généreux et fort bien composé, ce coffret-compilation déploie en trois galettes trois univers complémentaires. Il rappelle aussi combien Natalie Dessay est une de ces rares voix reconnaissables dans l’instant – miracle d’une singularité intrinsèque du timbre, et d’une manière technique dont les coulisses (notamment une façon parfois presque pop d’insensiblement retenir puis lâcher la note attaquée) ne sont qu’à elle –, combien on en aime la lumière, la clarté de diction, et la sensibilité expressive à fleur de peau.
Les rôles « à suraigus » du répertoire français sont traditionnellement le premier cheval de bataille de tout soprano léger : les enregistrements des années 1996-1997 affichent ainsi des Ophélie, Philine, Lakmé, Manon ou Olympia à la tessiture sidérante (jusqu’au contre-la bémol en Dinorah !). C’est bien sûr par cet aigu exceptionnel que l’« instrument Dessay » se fit connaître, mais dans le même temps l’instrumentiste – la musicienne et l’actrice – l’investissait d’un tempérament vif : le Feu ravélien nous le dit, tout comme cette Eurydice déjantée qui donnait alors le signal du sens comique de l’artiste.
Voyageant de Gounod à Bellini, Juliette Capulet nous dit aussi que Dessay ne pouvait se contenter d’être « le » soprano léger de son temps, sorte de néo-Mesplé en plus rock’n roll ; elle se rêvait moins poids plume et plus incarnée, moins nordique et plus latine, moins éthérée et plus sensuelle. Ce que l’évolution de son répertoire, dix ans plus tard, démontre. Amina et Gilda avaient certes toujours tenté les « rossignols », Lucia même – jusqu’à ce qu’une Callas fasse oublier leurs égarements alla Lily Pons –, mais Elvira ? et Violetta ?! On se récria. Le débat était-il si tranché ? On pourra certes trouver que la couleur ou la pulpe des harmoniques, voire l’assise du médium en cœur de tessiture ne sont pas celles attendues dans le melodramma romantique et dans le chant italien. Mais on pourra aussi, si l’on est honnête, se dire que Dessay y insuffle un art d’un goût inattaquable et une émotion fine, intelligemment servis par des moyens jamais forcés, en tout cas au disque, et qui dessinent à chaque fois un personnage vrai, et qui sonne juste.
Le troisième disque est peut-être, finalement, le plus attachant, précisément parce qu’il se joue des tiroirs : on voudrait le résumer par son identité anglo-saxonne (Mozart, Haendel, R. Strauss, Bernstein), mais le Russe Stravinsky et l’italien manié par le caro Sassone débordent le cadre ; baroque et classique y côtoient le XXe siècle ; le Rossignol est mis en abyme (Stravinsky) et trouve ailleurs des aigus venimeux (la Reine de la nuit) ; la rhétorique baroque de l’aria da capo voisine avec la scène de pur théâtre bavard (Zerbinetta). Surtout, la dernière plage est un délicieux pied de nez à… – à quoi ? à tout : au coffret, à la carrière, à la voix. Cette compilation intitulée À l’opéra se termine par un extrait de quasi-musical (Candide), où Cunégonde proclame ce qui pourrait être cette même feuille de route des sopranos légers que Dessay a voulu fuir : « Glitter and be gay » (« Brillez et soyez gaie ! »). La pyrotechnie qui s’y déploie, souvent à contre-temps, parodie les scènes de folie du « grand » opéra. Écoutez la cadence finale – directement héritée des cadences stratosphériques de l’opéra français – et, chez Dessay précisément, les trois dernières notes, à la fois triomphantes et accablées : flèches décochées avec autant d’humour que de quasi-hargne par un rossignol excédé de devoir rossignoler. Hilarant… et prémonitoire.
Chantal Cazaux