Roberto De Candia (Pietro il Grande), Loriana Castellano (Caterina), Paola Gardina (Madama Fritz), Nina Solodovnikova (Annetta Mazepa), Francisco Brito (Carlo Scavronski), Marco Filippo Romano (Ser Cuccupis), Tommaso Barea (Firman-Trombest), Marcello Nardis (Hondedisky), Stefano Gentili (Le Notaire), Orchestre Gli Originali, dir. Rinaldo Alessandrini, mise en scène et décors : Ondadurto Teatro / Marco Paciotti et Lorenzo Pasquali (Bergame, XI.2019).
DVD Dynamic 37847. Notice et synopsis angl./ital. Distr. Outhere.


Pietro il Grande, kzar delle Russie (parfois titré Il falegname di Livonia [Le Charpentier de Livonie]) est un des opus de jeunesse de Donizetti : le compositeur est âgé de 22 ans quand cet opéra semiseria est donné, le 26 décembre 1819, au Teatro San Samuele de Venise, un an tout juste après son coup d’essai et d’éclat, Enrico di Borgogna, au San Luca. Adapté d’une pièce française, le livret du marquis Gherardo Bevilacqua-Aldobrandini (bientôt auteur de l’Adina de Rossini) évoque un épisode légendaire de l’éducation du futur Pierre le Grand, employé incognito comme charpentier sur un chantier naval de la Baltique : Grétry, Pacini, Vaccai, Lortzing, Meyerbeer s’en inspireront tour à tour (et Donizetti même, une seconde fois). Ici, légère variante : le charpentier est Carlo, un frère de la tsarine qui s’ignore ; et, si la partition a tout du buffa, quelques éléments relèvent du semiseria : l’emprisonnement temporaire de Carlo ; la menace qui pèse sur Annetta du fait de son père, un rebelle en fuite (Mazepa) ; et surtout la figure autocratique de Ser Cuccupis, le podestat local – lequel est aussi largement ridicule qu’empanaché : il doit tout à Don Magnifico, dans cette partition où le jeune Donizetti mûrit à l’ombre de Rossini, mais révèle déjà un talent sûr (écoutez le finale primo, puissant et ravageur, le sextuor du II ou les deux airs de Mme Fritz !). Après quelques reprises, l’œuvre disparut de l’affiche dans les années 1830, pour ressusciter à Saint-Pétersbourg en 2003 puis à Martina Franca en 2004 (CD Dynamic).

Pour le Festival Donizetti Opera 2019, c’était au tour de la ville natale du compositeur de l’accueillir enfin. La mise en scène de l’Ondadurto Teatro, compagnie romaine portée sur le nouveau cirque et la machinerie, s’appuie surtout sur une scénographie de praticables mobiles et de projections vidéo aux coloris saturés, et sur des costumes pop au constructivisme naïf de BD futuriste. C’est visuellement pétulant – ce qui colle bien à l’aspect buffa – mais la direction d’acteurs reste en-deçà : faute de rythme et d’idées, elle surligne ses effets, et se contente d’attitudes conventionnelles et d’un premier degré permanent empêchant d’accéder véritablement à l’épaisseur semiseria de l’ouvrage.

Heureusement, la réalisation musicale est à la hauteur de l’événement bergamasque. On sent, dans la qualité des chœurs, une préparation finement soignée ; et Rinaldo Alessandrini mène l’orchestre Gli Originali avec efficacité et pertinence : tout se tient, s’enchaîne et s’offre avec une grande justesse d’esprit et de lettre, où les quelques fragilités d’attaque des cordes sont bien vite oubliées. Si la distribution souffre de quelques faiblesses, ce n’est pas tant au niveau technique que du point de vue de la beauté des timbres : même si – il faut le souligner – aucun ne démérite face à sa partie, on n’est pas emballé par l’émission engorgée, voire trémulante, de Marcello Nardis (Hondedisky) ou Loriana Castellano (Caterina), ni par la verdeur de Nina Solodovnikova  (Annetta) ou le côté scolaire de Francisco Brito (Carlo), qui passe pourtant crânement les difficultés de son rôle. Mais quel plaisir avec le tsar d’autorité – rond, mordant et volubile à la fois – de Roberto De Candia ; avec le Ser Cuccupis formidable, magistral dans le son comme dans le jeu, de Marco Filippo Romano ; et avec la Mme Fritz de Paola Gardina, ampleur vocale de tragédienne et vivacité de fine mouche ! À ce personnage d’aubergiste que Donizetti traite comme une reine (une cavatine d’entrée aristocratique, un grand duo avec Cuccupis entre duel et séduction, et un rondo final de véritable héroïne !), on mesure combien ce Pietro il Grande, à l’instar de son charpentier impérial, cache de surprises et mérite d’être mieux connu.

Un DVD d’attente, du point de vue théâtral, mais à ne pas négliger musicalement.


Chantal Cazaux