Carmela Remigio (Ilia), Francesca Ascioti (Enea), Raffaella Lupinacci (Andromaca), Paola Valentina Molinari (Eleno), Celso Albelo (Niso), Enea Barock Orchestra, dir. Stefano Montanari (2019).
CPO 555 334-2 (1 CD). 1h43’. Notice en anglais. Distr. DistrArt Musique.
Adulé en Saxe et en Autriche comme en Italie, considéré comme le plus grand mélodiste de son temps, époux de la fameuse cantatrice Faustina Bordoni, qualifié de « père de la musique » par Léopold Mozart, l'aimable Johann Adolf Hasse (1699-1783) n'a pas connu, à notre époque, une réhabilitation comparable à celle de Haendel et Vivaldi (qui, parfois, le pillèrent allègrement). On le doit, d'une part, à la disparition de nombreux ouvrages (brûlés lors du sac de Dresde par les Prussiens, en 1760), d'autre part à la nature même de son art, trop radieux, trop « joli » pour des auditeurs encore formés par le goût romantique. L'atout principal de cette parution est de nous faire entendre Hasse autrement : réveillée, révélée par le violoniste Montanari et son percutant petit orchestre (né en 2018), jamais cette écriture, parfois taxée de fadeur, ne nous a paru aussi colorée. Ce n'était pourtant pas gagné : œuvre de jeunesse, Énée à La Canée (Naples, 1727) ne compte pas parmi les quelque soixante opéras attestés de Hasse mais relève du genre de la sérénade, plus allégorique que dramatique. Fuyant Troie en flammes, Énée fait escale en Crète, où il retrouve d'autres Troyens « résilients », dont la bergère Ilia (rien à voir avec l'héroïne de Mozart) et Andromaque, veuve d'Hector, devenue l'épouse du devin Hélénus – lequel, dans une scène finale puissante, annonce à Énée qu'il fondera une nouvelle cité, reine du monde : Rome.
Peu d'action, une enfilade d'arie ravissantes, pétulantes ou planantes, dont quatorze sur seize en mode majeur : l'attention pourrait s'égarer n'était l'expressivité de la lecture. Le second mouvement de l'ouverture, gorgé de pathos, donne le ton ; les récitatifs, volontairement dramatisés par la basse d'archet et le clavecin, enfoncent le clou ; le jeu ardent et incisif des cordes triomphe d'une écriture souvent sinueuse (« Spesso viene tormentosa ») ; les cors se montrent capables de jouer piano les petites notes du pittoresque « Saper tu vuoi perché », tandis que le travail sur la dynamique rend plus théâtrale l'autre page cynégétique, « Ninfa sei ». La seconde partie de la sérénade s'ouvre sur une sinfonia empruntée à l'opéra Gerone, dont le dernier mouvement deviendra la marche grecque de Cleofide : on peut dès lors comparer la direction dionysiaque de Montanari à celle, plus apollinienne et lisse, de Christie, dans l'intégrale de Cleofide parue chez Capriccio (1986) – un monde les sépare... Les chanteurs ne sont pas tous, hélas, à la mesure du chef : si les deux mezzos (Lupinacci et, surtout, Ascioti, formidable d'autorité) nous séduisent, les deux sopranos, confrontées à des pages exigeantes (le rôle d'Eleno a pu être écrit pour le jeune Carestini), affichent des émissions assez droites, peu charnelles, et le ténor Albelo reste scolaire. Dommage – mais la discographie de Hasse est trop maigre pour bouder cette parution.
Olivier Rouvière