Turnhout, Brepols, 2016, 498 p., 115 €
Faire de la reprise de Robert le Diable au Palais Garnier en 1985 le point de départ de la réhabilitation du grand opéra romantique français – comme de voir dans celle d’Atys à Favart en 1987 la renaissance de la tragédie lyrique – serait sous-estimer l’importance des tentatives antérieures, plus modestes mais non moins décisives. Nous n’en sommes plus là et la programmation de L’Africaine ou d’Amadis n’est plus un casse-tête pour réunir dans le programme de salle des textes bien informés et éclairants. Les auteurs savent d’expérience de quoi ils parlent. Ceux de la génération précédente ne pouvaient s’appuyer que sur ce que leurs aînés en avaient dit et du mélange de fables, de témoignages de seconde main, de préjugés et de lieux communs résultait une littérature qui fait sourire aujourd’hui.
Manquent encore, en langue française, des monographies de Rossini, Auber, Donizetti ou Meyerbeer à la mesure de leur fécondité et de la place qu’ils occupent historiquement et esthétiquement. Hors l’essai de Violaine Anger (Bleu Nuit), la biographie succincte de Jean-Philippe Thiellay (Actes Sud) et les numéros de L’Avant-Scène Opéra (consacrés à Robert le Diable, aux Huguenots et au Prophète) rien n’est paru en France depuis Meyerbeer, Diable ou Prophète ? de Sergio Segalini (Beba, 1985). Du moins peut-on consulter librement en ligne l’excellent Meyerbeer de Lionel Dauriac publié en 1913 et témoin d’une époque de désamour.
C’est dire assez l’importance que revêt la publication par le prolifique Centro Studi Opera Omnia Luigi Boccherini de Lucca (avec l’assistance du Palazzetto Bru Zane) de vingt-deux articles de musicologues internationaux (en italien, anglais et français), choisis par Mark Everist, qui apportent de nouvelles lumières sur des sujets artistiques (Robert le Diable et Berlioz, par Jürgen Maehder ; l’influence des Huguenots sur Rienzi, par Maria Nice Costantino ; l’assimilation de Meyerbeer par Wagner, par Yaël Hêche ; Meyerbeer, Halévy et les livrets de Scribe, par Diana R. Hallman), ou encore de riches moissons historiques (les débuts italiens de Meyerbeer : Romilda e Costanza en 1817, par Francesco Bertini ; Robert le Diable à New York en 1845, par Jennifer C. H. J. Wilson ; Les Huguenots à Prague et en Autriche, par Milan Pospíšil ; survie du grand opéra au Palais Garnier entre 1915 et 1945, par Claire Paolacci).
Comme on ne saurait tout citer et, moins encore, commenter ces articles dont le contenu dépasse de beaucoup ce que suggèrent leurs titres (éventuellement traduits ou interprétés ci-dessus), on se bornera à lever le voile sur quatre communications qui piquent la curiosité. Ainsi, « Eugène Scribe et le Jardin des femmes », où Helena Kopchick Spencer relève avec force détails savoureux les scènes récurrentes de bain ou de toilette, dont la description, sur le livret imprimé, promet au spectateur des jeux coquins, des déshabillés, des peignoirs vaporeux dont la représentation ne lui laissera rien voir.
Traitant de la réclame (honnête) aiguisant la curiosité en livrant au compte-gouttes des secrets de coulisses, du puff (charlatanerie) claironnant la présence, à l’Ambigu, du ténor Roger dans le rôle du Prophète – une présence réduite à son portrait – et des produits dérivés, Guillaume Bordry évoque une boutique de lingerie, boulevard des Italiens, opportunément baptisée « La Maison du Prophète » et L’Âne à Baptiste, ou le Berceau du socialisme, bouffonnerie lyrique dont l’affiche prétend qu’on peut en voir la parodie… à l’Opéra.
Érudite et sensible, passionnante malgré une expression (traduction ?) un peu gauche, « Genèse et généalogie du Marcel de Meyerbeer » de Matthias Nikolaidis confère à la figure pittoresque du vieux Huguenot roide et taciturne la dimension d’un personnage de premier plan.
Un coup de cœur enfin pour l’article de Melanie von Goldbeck sur la part de Pauline Viardot dans la création londonienne du Prophète : non seulement la cantatrice y tenait, comme à Paris, le rôle central de Fidès, mais encore Meyerbeer l’avait chargée de faire répéter ses camarades au piano, de régler la mise en scène et de surveiller le chef d’orchestre !
Gérard Condé