Ensemble Marguerite Louise, dir. Gaétan Jarry (2020).
Château de Versailles Spectacles 027 (1 CD). 1h19’. Notice en français. Distr. Outhere.

 

Si le château de Versailles n’eut pas de théâtre permanent avant 1770 (nous fêtons cette année les 250 ans de la construction de son Opéra royal), dès les années 1660, à partir du moment où Louis XIV en entreprend l’agrandissement, la musique et le théâtre l’accompagnent, et la vie s’y change en opéra. Les deux œuvres enregistrées ici pour la première fois dans leur intégralité (Christie, Reyne et Minkowski en ont gravé des extraits) témoignent de cette exubérance festive, qui annonce l’« invention » de l’opéra français par celui qui en sera le promoteur : Jean-Baptiste Lully. Son futur complice Philippe Quinault signe le livret de la première, La Grotte de Versailles, « églogue en musique » de 1667 (le titre en annonce le cadre féérique, hélas disparu) ; tandis que la seconde fait appel à un autre partenaire, plus sporadique, du Florentin : Molière - dont la pièce George Dandin (1668) inclut trois intermèdes musicaux, qui ont ici été enchaînés afin de composer une sorte de mini-opéra. Les prétextes dramatiques des deux divertissements, très minces, restent inscrits dans l’univers pastoral : des bergers s’aiment, se chamaillent, se désolent ou chantent les plaisirs des champs, dans un style raffiné encore proche du ballet de cour (l’« air de cour » et son « double » varié sert ainsi de modèle aux grands « récits » de Daphnis et Iris). Sur la durée, la mièvrerie guette, ce pour quoi Jarry fait précéder ces bergeries de pièces plus corsées, dont une formidable marche de timbales jouée par Marie-Ange Petit.

La réalisation purement musicale des deux œuvrettes est un délice, tant en termes d’instrumentation (contrechants de viole ou basson colorant les « doubles », jeu fringant du clavecin et du théorbe, capables d’évoquer parfois la guitare) que de direction (souple, élégante mais mordante dans les attaques) et de rythme (la reprise épicée de légers décalages de « L’autre jour, d’Annette »). La vivacité presque méditerranéenne de cette lecture, paradoxalement, nous amène à mieux comprendre d’où viennent les semi-opéras de Purcell – qu’on joue souvent ainsi, c’est-à-dire de façon moins empesée qu’on ne joue Lully. En revanche, comme dans Les Arts florissans de Charpentier, enregistrés par le même ensemble chez le même éditeur, les voix apparaissent trop neutres, particulièrement les quatre sopranos aux timbres évanescents et dont l’élocution manque singulièrement de consonnes (c’est frappant lorsqu’elles chantent ensemble) ; tandis que, côté messieurs, on remarque la belle haute-contre de François-Olivier Jean. L’interprétation des seize solistes vocaux, qui composent aussi le chœur, oublie souvent le théâtre - et peut-être faudra-t-il que Marguerite Louise sacrifie un peu de raffinement avant d’aborder des partitions plus évidemment scéniques…


Olivier Rouvière