Albina Shagimuratova (Neala), René Barbera (Idamore), Misha Kiria (Zarete), Marko Mimica (Akebare), Thomas Atkins (Empsaele), Kathryn Rudge (Zaide), Britten Sinfonia, Opera Rara Chorus, dir. Sir Mark Elder (2021).
Opera Rara ORC60. Livret ital./angl., synopsis quadrilingue, notice en anglais. Distr. Warner Classics.
Composé sur un livret de Domenico Gilardoni d’après Le Paria de Casimir Delavigne (1821), Il paria est le 13e opéra de Gaetano Donizetti, créé en janvier 1829 au Teatro San Carlo de Naples dont le compositeur vient d’être nommé directeur. Soirée de gala royal oblige, les applaudissements doivent attendre le bon vouloir du souverain, entraînant un succès mitigé de l’ouvrage. Or Donizetti en était particulièrement fier ; il en réutilisera les meilleures pages dans plusieurs opéras ultérieurs.
Située à Bénarès au XVIe siècle, l’intrigue met en scène des rivalités de castes : le brahmane Akebare hait le guerrier Idamore, qu’aime sa fille Neala – bien qu’elle le sache fils d’un paria, Zarete. Leur mariage est interrompu par l’arrestation de Zarete, condamné à mort par Akebare. Idamore révèle alors publiquement son identité, ce qui le condamne aussi. Sans personnages secondaires superflus, en deux actes bien tenus, le sujet fait preuve d’une réelle efficacité et manie des enjeux propres à nous toucher encore aujourd’hui.
Un seul enregistrement du Paria était à ce jour disponible : il s’agissait d’une version de concert dirigée par Marco Berdondini à Faenza en avril 2001, alors éditée par Bongiovanni. Réalisé en studio en juin 2019, quelques jours avant un concert donné au Barbican Centre de Londres, celui d’Opera Rara devait fêter en 2020 les 50 ans du label, fondé en 1970 par Patric Schmid et Don White autour d’un projet fondamentalement donizettien, puis élargi à d’autres pans du répertoire lyrique. La crise sanitaire décale finalement d’un an sa sortie : elle est prévue le 15 janvier 2021.
La distribution réunie par Opera Rara soigne son style et sa technique, sans être pour autant d’un grand idiomatisme. C’est la limite de la proposition, qui sonne peu italienne (surtout chez les clés de fa) alors que chacun remplit son rôle avec efficacité. Misha Kiria est un peu droit et charbonneux en Zarete, ce beau rôle écrit pour le grand Lablache (futur Don Pasquale) et dont la lamentation sur fond de trémolos est une des pages les plus singulières de la partition. L’Akebare de Marko Mimica reste opaque, presque tubé, manquant de noirceur mordante pour ce rôle de basse malfaisante. Albina Shagimuratova offre son soprano virtuose à Neala sans en remplir complètement la dimension plus dramatique : son air du songe (qui est un cauchemar prémonitoire : une quasi-scène de folie) paraît surtout brillant – la créatrice, Adelaide Tosi, fut aussi la première Elisabetta donizettienne, celle du Castello di Kenilworth. Paradoxalement, c’est le défi le plus redoutable qui est le mieux relevé : René Barbera (triple premier prix au concours Operalia 2011) affronte crânement le rôle d’Idamore – la partie de ténor la plus virtuose jamais écrite par Donizetti, et dessinée pour le légendaire Rubini, sa vélocité et son aigu stratosphérique. Contre-ut à foison et jusqu’au contre-mi : manque peut-être une suprême et lumineuse souplesse, mais tout est là, passé haut la main, ainsi qu’une vraie expressivité. La baguette diligente de Mark Elder mène avec vigueur un orchestre net et coloré et des chœurs en forme excellente – atout précieux pour cette partition qui en fait un usage abondant, dans des scènes parfois étonnantes (voir la fastueuse prière à Brahma du second acte, toutes trompettes dehors, ou la scène finale, qui voit les deux condamnés à mort proclamer leur espoir en un avenir de tolérance, dans un grand ensemble à l’architecture complexe).
En attendant une proposition plus latine qui parviendrait à la même solidité technique, profitons de ce Paria tout confort, qui donne véritablement envie de découvrir l’œuvre à la scène.
Chantal Cazaux
Parution le 15 janvier, pré-commande sur le site d'Opera Rara