CD Chandos CHAN 10794(2). Distr. Abeille Musique. Livret angl.
Plus connu pour sa collaboration avec le librettiste Gilbert et leurs opérettes fameuses (Le Mikado, SMS Pinafore, The Pirates of Penzance...), Sir Arthur Sullivan composa également des opéras : Ivanhoe (1891) ou The Beauty Stone, « romantic musical drama » (sur un livret de Parr, Pinero et Sullivan lui-même) créé en 1898 et qui fit alors un four au Savoy Theater. La partition est pourtant d'une grâce sans tache, séduisante et colorée, puisant au meilleur du fantastique et du populaire mêlés : un petit bijou mâtinant Le Freischütz d'orientalisme tchaïkovskien et d'opérette pré-musical. Si sa simplicité de langage est anachronique à l'aune du « drame romantique » dont elle se réclame, les amoureux de Sullivan retrouveront le meilleur de ce musicien au ton vif - ici enrichi de sérieux -, à l'invention mélodico-prosodique tout simplement géniale et à l'orchestre spirituel, plus généreux et dramatique ici qu'à l'accoutumée.
L'histoire ? La pauvre Laine, contrefaite et moquée par son village, prie la Vierge de lui accorder ou la beauté ou la mort. Déguisé en moine, le Diable se présente et lui offre un pendentif magique qui la métamorphose. A la surprise de tous, elle gagne le concours de beauté du village - et le cœur de Lord Philip. Mais sous les traits d'un noble italien, le Diable suggère à Lady Saida, qui voudrait conquérir Philip, que tout ceci n'est que sorcellerie... Sentant l'impasse de la situation, Laine renonce au talisman, que son père Simon récupère - c'est alors lui, rajeuni et fringant, que Saida séduit ! Elle s'empare à son tour de la pierre, mais en vain : de retour du combat, Lord Philip est aveugle et ne peut apprécier sa beauté. Il retrouve Laine et en fait sa fiancée.
Dans la version d'origine de quatre heures (!) on tailla vite largement, notamment les dialogues parlés. Ce que nous restitue ce premier enregistrement professionnel est un « tout chanté » harmonieux, deux heures qui nous convainquent du charme de l'opus - comme de celui de Saida, rôle d'une exceptionnelle volupté vocale et orchestrale : excellente Rebecca Evans. Malgré un Bourgmestre Dircks trémulant - mais, après tout, amusant -, l'équipe est impeccable, lyrique et enjouée : Toby Spence, un rêve de prince blond ; Elin Manahan Thomas, une Cendrillon de tendre lumière ; Alan Opie, un Diable roublard ; les chœurs et l'orchestre, précis et ronds tout à la fois. Porté par des coupures utiles et des atmosphères changeantes que sait englober la baguette de Rory Macdonald, on imagine sans peine le passage à la scène. Une redécouverte, une performance, et un travail d'édition à saluer (contenant une introduction historique et un commentaire musical de Martin T. Yates, outre le livret). A quand une production pour convaincre les Français de la Sullivan's touch ?
C.C.