France Bellemare (Elle) dans La Voix humaine
Initialement programmé en mars dernier à l'Espace Go, ce programme double de l'Opéra de Montréal a ensuite migré au Théâtre Maisonneuve, qui devait accueillir un public restreint du 29 octobre au 3 novembre. En raison de la fermeture des salles de spectacle pour cause de pandémie, c'est à une expérience virtuelle que nous convie la compagnie montréalaise en un beau geste de résilience artistique facilité par le caractère intimiste d'une soirée comprenant uniquement trois solistes et deux pianistes.
Le rideau se lève sur La Voix humaine de Poulenc dans un décor suggérant un garage intérieur dans lequel trône une imposante voiture des années 30. L'automobile et l'élégant costume de la protagoniste nous renvoient au moment où la pièce de Cocteau fut créée par Berthe Bovy à la Comédie-Française, en 1930. Très touchante dans son rôle de femme abandonnée, France Bellemare vit avec intensité chaque moment de ce drame poignant auquel la metteure en scène Solène Paré imprime sa marque personnelle. Ainsi, après avoir compris que son ex-amant ne l'appelait pas de chez lui comme il voulait le laisser croire pour éviter de la blesser, l'héroïne ne touche plus au combiné du téléphone avant la fin de l'ouvrage. On sent alors le déséquilibre psychologique de la femme meurtrie qui monologue longuement avec elle-même. Après avoir finalement repris l'appareil téléphonique, elle fait ses adieux en démarrant le moteur de l'automobile et meurt asphyxiée en redisant « Je t'aime ! » À une diction très claire et une voix richement timbrée, la soprano joint une belle sobriété dans l'émotion. À défaut de la merveilleuse palette de couleurs présente dans l'orchestration de Poulenc, la réduction pour piano permet d'apprécier les remarquables qualités d'accompagnatrice d'Esther Gonthier.
La seconde partie nous fait assister à la création de L'Hiver attend beaucoup de moi de Laurence Jobidon, organiste et compositrice québécoise. Sur un livret de Pascale St-Onge, l'opéra d'une durée de 45 minutes se déroule dans le Nord québécois. Comme pour La Voix humaine, la mise en scène a été réalisée par Solène Paré. Le plateau représente un paysage de neige, avec des congères sur lesquelles monteront les deux femmes. On retrouve aussi la même voiture que dans La Voix humaine, qui a mené les deux personnages vers un refuge pour femmes victimes de violence, la « maison brûlante ». Madeleine, qui y a autrefois séjourné, et Léa, qui se révèle enceinte, dévoilent leurs blessures intimes dans un long duo pour soprano et mezzo qui atteint à une grande émotion. Extrêmement bien écrite pour la voix, la partition est d'un puissant lyrisme qui succède de façon harmonieuse à l'univers musical de Poulenc. Entre Vanessa Croome et Florence Bourget, jeunes chanteuses formées à l'Atelier lyrique de l'Opéra de Montréal, la chimie opère parfaitement. La première devra toutefois veiller à soigner davantage sa diction française et éviter certaines stridences dans l'aigu. Au piano, Jennifer Szeto parvient à créer des atmosphères envoûtantes qui ajoutent à l'intérêt d'un ouvrage aux mérites musico-dramatiques évidents.
Louis Bilodeau
La Voix humaine / L'Hiver attend beaucoup de moi à l'Opéra de Montréal, en webdiffusion jusqu'au 19/11/2020
Vanessa Croome (Léa) et Florence Bourget (Madeleine) dans L'Hiver attend beaucoup de moi
Photos : Yves Renaud