Rémy Mathieu (DVD)/Enguerrand de Hys (CD) (Blondel), Melody Louledjian (Laurette), Reinoud Van Mechelen (Richard), Marie Perbost (Antonio/la comtesse Marguerite d'Artois), Geoffroy Buffière (Williams), Jean-Gabriel Saint-Martin (Urbain/Florestan/Mathurin), Cécile Achille (Mme Mathurin), François Pardailhé (Guillot/Charles), Agathe Boudet (Colette), Charles Barbier (Sénéchal), Virginie Lefebvre (Béatrix), François Joron (un Paysan). Le Concert Spirituel, dir. Hervé Niquet, mise en scène : Marshall Pynkoski (2019).
Château de Versailles Spectacles CVS028 (1 DVD et 1 CD). Notice et livret en français, allemand et anglais. Distr. Outhere.
Œuvre immensément populaire, Richard Cœur de Lion totalisa 621 représentations dans les différentes salles de l'Opéra-Comique entre 1784 et 1912. Si le livret à la structure dramatique assez lâche de Sedaine laisse nettement à désirer, Grétry se montre néanmoins très inspiré par le destin du valeureux roi d'Angleterre retenu prisonnier par l'empereur Henri VI à son retour de la troisième croisade. Le personnage principal est Blondel, à qui le compositeur confie au début du premier acte le célèbre « Ô Richard, ô mon Roi ! », devenu pendant la Révolution, et bien au-delà, un chant de ralliement royaliste. Pleine de contrastes, la partition alterne entre pages charmantes relevant de la pastorale et scènes hautement dramatiques. Particulièrement soignée, l'orchestration atteint à une rare force expressive dans la dernière scène.
Captée non pas à la salle Favart mais plutôt à l'Opéra Royal de Versailles, la pièce s'accommode fort bien des dimensions réduites du plateau. Plutôt que d'évoquer le Moyen Âge, les ravissants décors d'Antoine Fontaine composés de châssis de toiles peintes et les luxueux costumes de Camille Assaf nous situent au moment de la création de l'ouvrage, soit dans le dernier quart du XVIIIe siècle. En harmonie avec la mise en scène sagement traditionnelle mais parfaitement efficace de Marshall Pynkoski, les élégantes chorégraphies de Jeannette Lajeunesse Zingg regardent résolument vers l'époque Louis XVI. Tout est ici raffiné et gracieux, jusqu'aux combats à l'épée transformés en superbe scène de ballet.
Galvanisés par Hervé Niquet, le chœur et l'orchestre du Concert Spirituel livrent une interprétation magnifique qui laisse loin derrière elle la version dirigée par Edgar Doneux en 1978 (EMI). Le chef sait aussi bien traduire la liesse bon enfant que l'attente angoissée du roi, la tendresse poignante du duo « Une fièvre brûlante » et l'exultation finale qui célèbre la libération du souverain. La distribution est dominée par le Richard d'une grande dignité de Reinoud Van Mechelen. Rompu aux exigences de l'opéra baroque français, il se montre un styliste exemplaire dans son air « Si l'univers entier m'oublie ». Acteur éminemment sympathique, Rémy Mathieu n'a certes pas l'âge du « père Blondel », mais il emporte l'adhésion par un jeu toujours très naturel. Sa jolie voix de ténor rencontre cependant quelques difficultés dans l'aigu. Enguerrand de Hys, qui chante avec fougue Blondel dans la version audio, voit parfois son timbre se décolorer, comme si le son s'engouffrait dans les joues. Grâce à sa superbe voix ductile, Marie Perbost se révèle aussi convaincante dans le rôle travesti d'Antonio qu'en comtesse Marguerite d'Artois. Le merveilleux air de Laurette « Je crains de lui parler la nuit », repris de façon géniale par Tchaïkovski dans La Dame de pique, est détaillé avec beaucoup de finesse par Melody Louledjian. Les autres artistes complètent avec bonheur une équipe qui fait globalement honneur au chef-d'œuvre de Grétry.
Louis Bilodeau